08 décembre 2009

Le livre des choses perdues, de John Connolly

Voici un livre qui m'a été généreusement prêté (en anglais) par Miss Spooky Muffin. Elle l'a choisi elle-même, à ma demande, car j'adore les surprises. Et sur ce point-là, je n'ai pas été déçue: c'est une découverte pour le moins étonnante...


Résumé:

David, 12 ans, a hérité de sa maman une passion pour les livres de contes. C'est tout ce qu'il lui reste, quand sa maman meurt et qu'il se retrouve obligé de vivre avec une belle-mère et un demi-frère qu'il déteste. Des choses bizarres commencent alors à lui arriver: il s'évanouit sans raison, entend les livres parler, et aperçoit un Homme Biscornu qui fouille sa chambre en son absence. Puis, une nuit, la voix de sa maman l'appelle dans le jardin et l'entraîne à travers un passage caché. David se retrouve alors dans un autre monde, peuplé de créatures bizarres et dangereuses, où il brave chaque jour de nouvelles aventures pour atteindre le Livre des choses perdues qui lui permettra de rentrer chez lui...


Mon avis:


Quand Miss Spooky Muffin m'a apporté le livre, elle n'a pas pu le décrire plus précisément qu'en disant: "c'est un livre vraiment bizarre". Au moment de faire ma critique, je comprends son problème: comment décrire une histoire pareille ?

D'abord, sous de nombreux aspects, c'est un conte. Il est écrit comme un conte, en commençant par "Il était une fois" et en utilisant ce style si particulier des conteurs: une distance avec le sujet couplée à une description précise des faits et des pensées, une présentation factuelle et sans passion des scènes les plus terribles. J'ai beaucoup aimé ce style qui laisse au lecteur le soin de mettre lui-même les points d'exclamation, il a réussi à me toucher dès les premières pages.

C'est aussi un conte dans sa ressemblance à l'histoire d'Alice au pays des merveilles. Tandis qu'Alice suit un lapin dans son terrier, David suit la voix de sa maman au travers d'un trou dans un jardin un peu particulier. Tous deux se retrouvent dans un monde à la fois semblable au leur mais différent; celui de David n'est illuminé que par un demi-jour, les arbres sont étranges et la vie ressemble à celle du Moyen-Age, mais il a ses ponts, ses villages et ses routes comme n'importe quel monde. Dans les deux cas, le monde est peuplé d'êtres étranges, basés sur des êtres réels mais déformés par l'absurde. Enfin, David et Alice cherchent tous deux à retrouver leur monde à eux après avoir fait l'erreur de passer volontairement dans le nouveau.

Mais "Le livre des choses perdues" n'est pas qu'un conte. Tout le début se situe dans la réalité, une réalité qui n'est pas qu'esquissée comme dans les contes traditionnels, mais une réalité sérieuse, un monde en guerre, une perte affective, le sentiment de trahison de David vis-à-vis de son père. Ensuite, le monde dans lequel il atterrit n'a rien du monde loufoque et comique d'Alice. La plupart des créatures qu'il croise sont tantôt horribles et effrayantes, tantôt atrocement cruelles. David se fait des amis mais ils lui permettent surtout de revivre la douleur d'une perte. De nombreuses scènes sont du bon matériel à cauchemars: les corps mutilés et les morts atroces sont nombreuses, les pièges se suivent, les méchants comme les gentils sont dévorés par des créatures diaboliques, les enfants sont martyrisés et les donjons sont des lieux de terreur. Point de vue émotionnel non plus, le lecteur n'est pas épargné: David souffre et rencontre des gens qui souffrent aussi, il est confronté à la peur, à la douleur, et à des sentiments plus sombres qu'il ne comprend pas bien mais que nous traduisons comme la menace de la pédophilie.

Mais dans tout ça, ce conte-qui-n'est-pas-un-conte parle quand même de contes d'un bout à l'autre. On se rend compte au fur et à mesure que le monde où se retrouve David est constitué autour de ses propres pensées, et donc en partie autour des livres qu'il a lus. Des contes classiques sont ainsi transposés, souvent pour le pire. Le Petit Chaperon Rouge est en fait une jeune fille débauchée à l'origine d'un peuple de monstres, la Belle au Bois Dormant est une sorcière qui attire les chevaliers pour mieux les tuer, ce genre de choses. Dans l'édition que l'on m'a prêtée, il y a à la fin plus d'une centaine de pages d'explications de l'auteur, avec les contes originaux qu'il a utilisés et ses raisons de les inclure ou de les modifier; c'est très intéressant, et on se rend compte de la logique sous-jacente. Un passage seulement m'a vraiment fait rire: celui où David rencontre Blanche-Neige et les septs nains, mais une Blanche-Neige obèse et mégère qui vit avec des nains communistes, lesquels ont essayé de l'assassiner avec une pomme en faisant croire que c'était l'oeuvre de sa belle-mère. Je me suis tellement amusée en lisant ce passage que j'ai regretté qu'il n'y en ait pas plus sur le même ton.

Au total, ce conte-qui-n'est-pas-un-conte-mais-qui-parle-de-contes laisse une impression durable bien que difficile à définir. L'auteur a un don particulier pour créer une ambiance oppressante et pour présenter des tableaux puissants: l'arrivée de David dans le nouveau monde, suivi par un bombardier en feu, en est une; le champ de bataille médiéval au milieu duquel trône un tank flambant neuf en est une autre (dont je n'ai pas bien compris le sens, d'ailleurs). Le voyage est réellement initiatique pour David qui doit faire face à chacune de ses peurs, apprendre à accepter la mort de sa mère et à réaliser l'injustice de ses sentiments envers sa belle-mère et son demi-frère. Pour le lecteur, si l'apprentissage est difficilement transposable, c'est quand même un parcours qui fait souvent battre le coeur. Une expérience à tenter, vraiment.

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