20 février 2011

Florence Nightingale - The woman and her legend, de Mark Bostridge

Voici un livre que j'ai lu, non pas pour mon plaisir, mais pour l'enregistrer sur dictaphone pour permettre à une personne mal-voyante d'en profiter.  Ce n'est pas le genre de lecture que je commente normalement sur ce blog et je ne pense pas que cette biographie intéressera de nombreux lecteurs, mais comme il s'agit aussi d'un carnet à usage personnel, je note vite fait mes impressions.


Résumé :

En Angleterre, Florence Nightingale est une véritable légende.  Au XIXème siècle, cette jeune femme de bonne famille refuse de suivre la vie d'épouse qui est tracée pour elle et se bat pour suivre sa vocation : devenir infirmière.  A l'époque, cette profession mal famée ne recrute que de pauvres femmes alcooliques sans aucune formation médicale. Alors que Florence se forme à l'étranger et dirige une infirmerie, le Royaume Uni se bat aux côtés de la France en Crimée.  Des reportages effrayant éclairent les Anglais sur la situation de leurs soldats blessés dans les hôpitaux militaires : sans soin, rassemblés dans des lieux insalubres, ils meurent comme des mouches du manque de soin ou de maladies.  Florence est alors envoyée sur place, à la tête d'un groupe d'infirmières, et procède à des changements radicaux malgré l'opposition de la hiérarchie militaire et les disputes internes parmi ses recrues.  Elle deviendra alors "The Lady with the lamp", la dame à la lampe qui fait la nuit la ronde de l'hôpital, une icône dont elle utilisera le statut pour rénover profondément le statut et le rôle de l'infirmière.


Mon avis :

Je ne connaissais pas Florence Nightingale avant de la découvrir en lisant un autre livre sur le sujet il y a peu de temps, et c'est assez amusant de découvrir la biographie d'une personne tellement célèbre dans son pays d'origine qu'on ne prend pas la peine de la présenter, alors qu'elle est inconnue de ce côté-ci de la Manche. Si son influence a surtout été remarquable dans les pays anglo-saxons, sa vie n'en est pas moins extrêmement intéressante.  La demoiselle (puisqu'elle ne s'est jamais mariée) a totalement réformé le métier d'infirmière, les hôpitaux anglais (elle a même écrit des traités d'architecture sur leur construction), les pratiques médicales de base au sein des institutions ou à la maison, l'organisation sanitaire de l'armée anglaise (elle s'est également attaquée aux problèmes sanitaires et sociaux de l'Inde mais avec moins de succès), mais elle a aussi inventé de nouveaux diagrammes pour illustrer les informations statistiques et épidémiologiques qu'elle utilisait abondamment, et a ouvert la voie vers une certaine liberté pour les femmes de sa condition, jusqu'alors condamnées à une vie de maîtresse de maison gaspillant leur érudition souvent très étendues.  Une véritable pionnière, donc.

Pour compliquer la chose, il faut savoir que Florence Nightingale a été atteinte, dans sa jeunesse, d'une maladie grave et chronique qui l'a obligée à rester cloîtrée dans sa chambre la plupart du temps.  Elle a pourtant vécu très âgée et, depuis son lit, a réussi à accomplir les grandes choses décrites ci-dessus en jouant à merveille de son influence pour tirer les ficelles de politiciens et scientifiques bien placés. 

Sa retraite forcée a eu pour conséquence de l'obliger à communiquer énormément par lettres. ce qui est évidemment une manne pour les historiens qui se sont attelés à sa biographie. Mark Bostridge n'est pas le premier, et avant lui, les écrivains et la rumeur publique ont décrit Florence Nightingale sous des traits très différents :  comme icône de sainteté et de dévouement d'abord, comme femme autoritaire et impatiente ensuite. 

La biographie de Mark Bostridge a l'avantage de réconcilier ces deux points de vue et de dresser un portrait extrêmement complet de Florence Nightingale, et qu'on imagine d'autant plus fidèle qu'il est extrêmement bien documenté. On aborde tous les traits saillants de sa personnalité, les meilleurs comme les moins bons. L'ordre est chronologique mais également organisé par sujet, sur un schéma très clair. L'abondance de détails et de personnages est parfois un peu perturbant et le langage particulièrement soigné donnera un peu de fil à retordre au lecteur qui ne se sent pas tout à fait à l'aise dans la langue de Shakespeare (surtout quand il s'agit des reproductions de lettres d'époque). Mais de façon générale, si vous voulez connaître la vie de ce personnage historique particulièrement intéressant, ce livre est LA référence incontournable. J'imagine mal qu'on puisse égaler sa précision ou son exhaustivité.


Pour en savoir plus :  la fiche Bibliomania du livre.

18 février 2011

La vie immortelle d'Henrietta Lacks, de Rebecca Skloot

J'ai beaucoup de chances avec les partenariats :  je dois bien les choisir parce que je suis rarement déçue.  Ce qui arrive plus souvent, c'est que je sois étonnée par un livre que je pensais intéressant et qui s'avère plus riche que prévu.  C'est le cas de "La vie immortelle d'Henrietta Lacks".

Résumé :

En 1951, Henrietta Lacks, une jeune mère de famille noire du sud des USA, meurt d'un cancer du col de l'utérus particulièrement virulent. Avant sa mort, le médecin qui la soigne a prélevé, sans l'en informer, quelques cellules cancéreuses. Celles-ci vont non seulement être les premières cellules humaines à survivre en laboratoire, mais elles se multiplient à une vitesse phénoménale et semblent immortelles. Produites à grande échelle, ces cellules, nommées HeLa, serviront de matériau de recherche irremplaçable pour les laboratoires du monde entier, sans que personne ne sache de qui elles proviennent et sans que la famille d'Henrietta soit mise au courant.


Mon avis :

Ce livre se situe à mi-chemin entre le documentaire journalistique, la biographie et la vulgarisation scientifique.  En parallèle, on y découvre trois narrations distinctes.

Il y a tout d'abord l'histoire fabuleuse d'une lignée de cellules qui constituent un véritable miracle pour la recherche scientifique. Ces "HeLa" sont paraît-il connues de tous les biologistes du monde, qui les utilisent encore quotidiennement pour développer des vaccins, étudier leurs réactions dans de nombreuses situations (elles furent même envoyées dans l'espace !), les associer à des cellules animales, etc. Leur histoire est pourtant truffée de dangers autant que de succès.  Rebecca Skloot entreprend de nous raconter tous les tenants et aboutissants de cette aventure scientifique, dans un langage à la portée du lecteur non averti (croyez-moi, je fais partie de cette catégorie).  Elle prend aussi le temps de nous en décrire les principaux acteurs.  S'il faut parfois concentrer ses neurones pour bien suivre, ce n'est vraiment pas insurmontable, et la narration divisée en courts chapitres allège la lecture.  C'est absolument passionnant.

D'autre part, l'auteure développe également la biographie d'Henrietta Lacks, depuis son enfance jusqu'à sa mort.  Étant donné le titre, on pourrait s'attendre à ce que cette partie forme la grande majorité du livre ;  en fait c'est loin d'être le cas, car la vie d'Henrietta, outre le fait qu'elle a été écourtée par le cancer, ne présente rien de bien exceptionnel. Mais c'est la vie typique d'une femme noire descendante d'esclaves dans le sud des Etats-Unis peu de temps après la fin de la ségrégation raciale, et en tant que tel, c'est l'occasion de proposer une représentation de son milieu social.  Ce que l'auteure s'empresse de faire, frôlant au passage les thèmes du racisme, de la grande pauvreté, de la promiscuité et même de l'inceste.

Enfin, dans une troisième partie intimement mêlée aux deux autres, l'auteure raconte les recherches qu'elle a effectuées pour reconstituer l'histoire des cellules HeLa et d'Henrietta, et en particulier les étapes de sa rencontre avec les enfants et la famille d'Henrietta Lacks. Cette rencontre ne fut pas de tout repos, étant donné que la famille, très peu instruite, comprenant mal les tenant et aboutissants des recherches effectuées à leur insu et échaudée par de mauvaises expériences avec journalistes et profiteurs, était plus que méfiante à son égard.  Et on tombe là dans le côté très (trop ?) pathos de cette histoire : c'est au milieu du quart-monde américain que la journaliste se retrouve.  La famille Lacks oscille entre la violence et la crédulité absolue et Rebecca Skloot doit en apprivoiser les membres comme des animaux sauvages dont les réactions sont imprévisibles.  En-dehors de Deborah (et c'est peut-être pour ça qu'elle est mise en valeur), la réaction prédominante est assez déplaisante : "ce sont les cellules de notre mère, on veut de l'argent !".  Cette partie m'a mise mal à l'aise, je n'arrive pas à décider si il y a eu exagération ou condescendance de la part de l'auteure, ni à m'attacher au sort d'une famille difficile à comprendre.

Si le style n'en fait pas une œuvre littéraire inoubliable, c'est en tous les cas une lecture instructive et une information qui soulève des questions très pertinentes.  Jusqu'où va, et doit aller, l'éthique médicale et scientifique ?   L'historique des règles et abus dans ce domaines raconté par l'auteure nous prouve qu'il y eu un net progrès depuis l'époque d'Henrietta Lacks, mais un long chapitre final nous démontre aussi que tout n'est pas réglé. Henrietta se retrouve dans la position d'un laboureur qui trouve un trésor dans son champs, à la différence que seule, elle n'aurait ni découvert ce trésor ni été capable d'en profiter.  Des entreprises ont fait fortune en reproduisant et revendant les cellules HeLa, mais de façon générale, c'est surtout à la recherche pour le bienfait de l'humanité que ces cellules ont servi. Alors que faire ?  Comment empêcher les descendants d'Henrietta d'être si pauvres au point de ne pouvoir se payer le médecin ?  Et pourquoi eux uniquement ?  En quoi sont-ils plus méritants ?

Je me rends compte que j'ai été un peu longue, mais c'est parce que cette lecture aux multiples facettes mérite une présentation à sa hauteur.  Au-delà de la biographie très intéressante d'un personnage historique totalement méconnu, ce livre nous permet d'explorer des thèmes historiques ou très actuels, scientifiques et sociologiques, tous très instructifs et sujets à débat. En bref, une lecture très riche que je recommande.  Un grand merci aux éditions Calmann-Levy pour cette excellente découverte.


Pour en savoir plus :  
- l'avis de Lise sur le blog Livraddict, que je trouve particulièrement bien formulé.

15 février 2011

Seven Sorcerers, de Caro King

Et hop, encore une petite lecture commune en VO !  A propos d'un livre jeunesse à la couverture magnifique... mais qui n'a malheureusement pas encore été traduit en français.  Qu'à cela ne tienne, voici quelques mots qui vous donneront peut-être envie de le lire en VO et aux éditeurs de le traduire !


Résumé :

Nin n'a jamais aimé le mercredi, mais celui-ci bat tous les records : elle se réveille pour constater qu'il pleut à seaux et que son petit frère à disparu.  Non seulement il est introuvable et toutes ses affaires aussi, mais plus personne ne semble se souvenir de lui. Et Nin se rend bientôt compte que la chose qui l'a enlevé rôde toujours dans les parages... Mais elle est bien décidée à en profiter pour retrouver la trace de son frère et le ramener à la maison, même si cette aventure va l'entraîner dans le monde magique et dangereux des Sept Sorciers.


Mon avis :

Il me semble que ce roman jeunesse se classe dans la même catégorie que Le Livre des Choses Perdues que j'ai lu il y a quelques temps.  Est-ce qu'il existe un nom pour ce genre particulier, qui reprend les contes connus, les légendes enfantines et les images qui ont peuplé nos enfances pour les assembler dans un monde effrayant qu'un enfant doit affronter au cours d'une quête qui le fera grandir ?

Parce que voilà la trame de Seven Sorcerers.  On y retrouve le monstre des placards, l'enfant coincé dans une autre réalité, le sentiment atroce de ne pas exister pour ceux qu'on aime, des fantômes, un lieu qui ressemble à un labyrinthe dont on ne sort pas vivant, une expérience traumatisante comme métaphore évidente de la dépendance à la drogue, etc. En fouillant un peu, chaque expérience, chaque aventure et chaque personnage de ce monde bizarre sont une résonance des peurs qu'un enfant a ou aura à affronter. Je vois donc dans ce genre particulier un côté éducatif : puisque l'héroïne, qui n'est pourtant pas présentée comme un super-héros et partage les angoisses des enfants normaux, arrive à surmonter ces épreuves, n'importe quel enfant peut le faire.

Ceci dit, dans Le Livre des Choses Perdues, l'histoire allait tellement loin dans l'horreur qu'à certains moments je me suis demandée quel serait le bon public pour un tel livre : il me semble qu'il fournit beaucoup trop de matériel à cauchemar pour être lu par un enfant. Seven Sorcerers est plus soft dans le genre, ce qui lui donne peut-être un aspect édulcoré pour un lecteur adulte. Mais moi ça m'a convenu parfaitement. La trame un peu classique m'a parue compensée par l'humour de l'ensemble, et je me suis bien amusée pendant cette lecture.

Comme les autres participants de cette lecture commune, j'ai préféré la deuxième partie du livre, un espèce de huis clos plein de rebondissements. Mon personnage préféré est sans aucun doute Skerridge que j'ai trouvé vraiment comique. J'ai un peu plus de mal avec Jonas qui m'a paru manquer de profondeur et d'histoire.  Par contre j'ai apprécié la façon dont l'histoire des Sept Sorciers est distillée au cours de l'intrigue, sa narration partagée entre les personnages.

Bref, en ce qui me concerne, j'ai passé un excellent moment de lecture.  Je m'en vais de ce pas commander le second tome de ces aventures !



Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- les avis des participants à cette lecture commune :
      - les enthousiastes : Sabaha, Flo_Boss
      - les modérés : Miss Spooky Muffin, Sita