22 octobre 2012

Freedom, de Jonathan Franzen


Freedom, ou la liberté (de rater sa vie)... Attention, coup de coeur ! 


Résumé :

Patty a décidé une fois pour toutes d'être la femme idéale. Mère parfaite, épouse aimante et dévouée, cette ex-basketteuse ayant un faible pour les bad boys a fait, en l'épousant, le bonheur de Walter Berglund, de St. Paul (Minnesota). En devenant madame Berglund, Patty a renoncé à bien des choses, et d'abord à son amour de jeunesse, Richard Katz, un rocker dylanien qui se trouve être aussi le meilleur ami de Walter. Freedom raconte l'histoire de ce trio, et capture le climat émotionnel, politique et moral des Etats-Unis de ces 30 dernières années, dans une tragi-comédie d'une incroyable virtuosité. Comment vivre ? Comment s'orienter dans une époque qui semble devenue folle ?


Mon avis :

Ca faisait un certain temps que je n'avais pas lu de littérature contemporaine (si on ne tient pas compte de "Purge", très ancré dans l'histoire) et j'avais oublié à quel point un roman plongé dans le présent peut frapper fort. Si je devais résumer celui-ci en un mot, je dirais "implacable".
Pourtant, il m'a fallu un peu de temps pour rentrer dans cet univers. Les premières pages racontent l'histoire de la famille Berglund, en accéléré, et du point de vue des voisins. Le côté superficiel ajouté à la médisance du "narrateur" m'a fait peur, je n'aurais jamais supporté plus de 700 pages de ce régime. Heureusement, un changement de chapitre inattendu (il n'y a pas de table des matières) vient modifier le point de vue. On aura ainsi, au fur et à mesure, les éclairages distincts des personnages principaux qui se complètent pour former une sorte de patchwork centré sur l'époque où les enfants Berglund sont de jeunes adultes, mais avec de longs retours en arrière sur la genèse de cette famille quasiment dysfonctionnelle.

En-dehors de ces éléments factuels, j'ai du mal à vous décrire le contenu de ce roman, la recette qui fait d'une histoire somme toute banale une lecture envoûtante, belle et douloureuse à la fois. Il y a le fait que l'histoire de tous les personnages tend vers une catastrophe qui se dessine peu à peu, différente pour chacun (et en partie annoncée dès les premières lignes). Il y a le fait que chaque personnage se bat dans une direction qui lui semble celle du bonheur, que l'on découvre au fur et à mesure leurs motivations et qu'on tremble pour eux en suivant leurs erreurs. La plume de l'auteur explore les introspections de ces personnages qui semblent si classiques et qui pourtant, une fois vus de l'intérieur, sont si riches. En passant de l'un à l'autre, on les comprend, puis on ne les comprend plus, puis on les retrouve et ils s'expliquent. Ils ne disent pas tout, ils nous laissent le soin de les interpréter.  En tant que lecteur, ils s'imposent chacun à leur tour dans toute leur complexité et nous défient de les juger ou de les comprendre.

Au travers de cette petite famille, c'est toute la société américaine des années 2000 que l'auteur dissèque sans aucune pitié. A aucun moment il ne juge (en tous cas ouvertement), il nous propose simplement les différentes options qui s'offrent à l'Américain volontariste. Walter et son fils Joey représentent à cet égard les deux extrêmes, de l'idéalisme au pragmatisme, et chacun à sa façon se perd en voulant profiter de toute cette liberté que leur offre leur pays. Richard a tenu à tout prix à garder cette liberté et à ne s'affirmer que par sa musique, ce qui ne l'a pas mené beaucoup plus loin vers l'accomplissement personnel. Patty, une fois seule, ne sait plus que faire de cette liberté qui l'encombre. Tout tourne autour de cette impression d'avoir le droit de tout faire et finalement de n'arriver à rien. D'où le titre, très bien illustré dans ce passage :
"Tout tourne autour du même problème des libertés personnelles, dit Walter. Les gens viennent dans ce pays pour l'argent ou pour la liberté.  Si tu n'as pas d'argent, tu t'accroches à tes libertés avec encore plus de rage.  Même si fumer te tue, même si tes gosses se font descendre par des malades armés de fusils d'assaut. Tu peux être pauvre, mais la seule chose que personne ne peut te prendre, c'est la liberté de foutre ta vie en l'air comme tu veux."
Je sais que Thalia est très curieuse concernant ce livre et attend ma chronique pour savoir si je le recommande ou pas.  Me voilà bien embêtée : au bout de toutes ces pages, ce que je peux dire c'est que ce n'est pas un livre difficile à lire, il est d'ailleurs superbement écrit, mais qu'il est "dur" sentimentalement. Il est long, mais je n'en retrancherais aucun passage.  Il est centré sur des personnages que j'ai suivi avec plus que de l'intérêt, de la passion, mais auxquels il est difficile de s'attacher tant ils sont torturés et tant leurs erreurs et leurs défauts sont difficiles à pardonner. Il décrit magnifiquement la société américaine sous tous ses aspects, mais en le terminant je pousse un gros soupir de soulagement d'être née en Europe. C'est un livre qui secoue, qui ne se laisse pas vite oublier, mais je ne peux pas dire qu'il m'ait fait réfléchir tant ma propre vie semble belle et facile par rapport aux interrogations des personnages. 

Bref, c'est une lecture qui m'a prise par surprise et que j'ai adorée, mais qui ne correspond peut-être pas à l'idée de la lecture comme source d'évasion que se font beaucoup de lecteurs. Je le vois comme le type même du roman qui divise : on adore ou on déteste (ne serait-ce que parce que si on n'adore pas, il y a largement le temps de s'ennuyer à mourir). Pour ma part, il restera à l'avant de ma bibliothèque et j'ai très envie de plonger dans son frère aîné ,"Les corrections", auquel on le compare souvent - peut-être même en ebook, juste pour embêter l'auteur ?

Un grand merci à Livraddict et aux éditions Points pour cette superbe découverte ! 


Pour en savoir plus :
- quelques avis : pour les négatifs, Littérature et Chocolat qui l'a trouvé bancal et BlackWolf qui a été déçu ; Well-Read-Kid a trouvé qu'il s'agissait d'un bon roman mais pas le chef d'oeuvre auquel elle s'attendait ; et pour les positifs, Reading in the Rain a été "remuée, fascinée, émue et transportée". 

3 commentaires:

  1. Et ben je fais comment moi si tu ne sais pas trop quoi conseiller? :p

    Très belle chronique ... même si je me doute qu'il faut lire pour comprendre certaines de tes phrases. :)

    C'est marrant quand tu dis que tu as suivi avec passion des personnages auxquels tu n'as pas su t'attacher ... rien que ça ... ça intrigue pas mal.

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  2. Moi je n'ai jamais vraiment compris pourquoi il fallait s'attacher à un personnage pour avoir envie de lire son histoire et l'apprécier. Un exemple extrême : j'ai adoré le roman "La mort est mon métier" de Robert Merle, qui retrace en détails la vie de Rudolf Höss, le commandant d'Auschwitz qui a mis au point le gazage et la crémation à grande échelle... Difficile de s'attacher à lui, mais lire son histoire est passionnant !

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  3. Oui mais là tu es dans une histoire dans l'histoire ... ya des livres tu sens qu'il faut s'attacher aux personnages pour savourer + le livre ... quand c'est pas le cas, je sais pas, tu sens que tu loupes quelque chose. Dur à expliquer :/

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