03 février 2013

Growing up Bin Laden, de Jean Sasson, Najwa et Omar Bin Laden


Cessons un moment de parler de romans et entrons dans l'antre d'un monstre...


Résumé :

Osama Ben Laden n'a pas toujours été le terroriste qu'on connaît. Il fut à une époque un jeune garçon timide, le fils d'un des hommes les plus riches d'Arabie Saoudite, qui à 17 ans épousa sa cousine, Najwa, très amoureuse de lui. Le couple aura 11 ans enfants et au fur et à mesure que sa passion pour le Jihad s'affirmera, Ben Laden emmènera sa famille au Yémen, en Afghanistan et au Pakistan, dans une vie qui descend petit à petit dans la misère et la violence. Najwa et Omar, leur quatrième fils et un temps successeur désigné, racontent la vie de famille d'un monstre.


Mon avis :

Ce livre, je ne l'ai pas choisi, c'est l'un de ceux que j'ai lus et enregistré pour une personne qui souffre de problèmes de vue.  Je ne parle pas ici de tous les livres que je lis dans ce cadre-là, mais celui-là m'a surprise et intéressée, alors je crois qu'il en vaut la peine. Malheureusement, il n'est pas encore sorti en français. Mais si vous comprenez un peu l'anglais, c'est suffisant : le langage utilisé est assez simple.

Le livre rassemble deux témoignages (recueillis par l'écrivain Jean Sasson) : celui de Najwa, la première épouse de Ben Laden, et celui d'Omar, son quatrième fils. Najwa a l'avantage de pouvoir raconter la jeunesse de son mari (elle le connaît depuis son enfance) et les premières années de leur mariage, tandis qu'Omar peut développer la vie de son père lorsqu'il se consacre au jihad, un aspect auquel Najwa, constamment enfermée et tenue à l'écart des activités de son mari, n'a pas accès. 

La partie d'Omar est intéressante en ce qu'on y retrouve Osama Bin Laden dans ses activités politiques, l'homme dont toute la vie d'adulte sera consacrée à sa haine des USA et d'Israël et à sa passion de la guerre. On le voit abandonner sa richesse et son pays, mettre en danger sa famille, déménager dans un pays en guerre et y habiter dans les grottes d'une montagne sans le moindre confort de base, jusqu'à demander à ses propres fils de se proposer pour les futures missions suicide... En gros, on aperçoit un homme qui petit à petit devient un monstre qui se consacre entièrement à la haine.  Et malheureusement pour le monde, cet homme en particulier était particulièrement intelligent, riche, et un commandant-né. La narration de son fils Omar oscille entre l'admiration pour son père, sa crainte et son aversion pour l'homme, de nombreuses plaintes sur le mode de vie de sa famille, et un poil d'auto-justification. 

Etonnamment, la partie qui m'a le plus intéressée, c'est celle racontée par la mère Najwa. On y croise moins Ben Laden lui-même, car en tant que femme, Najwa reste à l'écart de la vie de son mari. Son monde est d'ailleurs extraordinairement réduit : il se limite aux murs du quartier des femmes des différentes maisons où elle habite. Alors que lors de son enfance, Najwa était plutôt libre dans sa Syrie natale dont la religion ne semble pas trop stricte, à partir du moment où elle se marie, sa vie de femme change complètement. Elle abandonne ses études, porte une sorte de burqa, il lui est interdit de sortir de chez elle sans un chaperon (un homme de sa famille - et ça arrive rarement), elle doit obéir en tout à son mari et sa tâche exclusive est de préparer à manger (au début, avec l'aide de servantes) et de faire des enfants dont elle s'occupe jusqu'à ce qu'ils aillent à l'école. En clair, elle est enfermée à longueur de journées et d'années dans une maison enclose de hauts murs où les seuls hommes qui puissent pénétrer sont ceux de sa famille. Najwa ne semble pas en souffrir ; elle remercie même son mari qui est suffisamment bon pour prendre le temps de lui expliquer comment elle doit se comporter. Elle semble rassurée par cet enfermement qui la protège des hommes.  Elle ne se sent pas prisonnière, car elle sait qu'elle conserve la possibilité de partir ; d'ailleurs, c'est ce qu'elle fait, quelques jours seulement avant le 11 septembre 2001. 

Et pourtant, sans qu'elle ne se plaigne ni même ne s'attarde sur les conditions de sa vie, des tas d'aspects de sa condition de femme musulmane très traditionnelle ont profondément choqué la femme occidentale que je suis.  Dans le monde qu'elle décrit, il ne s'agit pas réellement de séparer les rôles en fonction des genres ; en fait, les femmes sont terriblement inférieures aux hommes. Car même quand il s'agit de son "domaine", le foyer, Najwa n'a rien à dire : elle suit son mari où il décide qu'elle aille, sans qu'il prenne même le temps de lui expliquer où ils vont, et sans avoir le choix de ce qu'elle peut emporter. Elle ne choisit pas la décoration de sa maison, le confort qu'elle souhaite avoir (Ben Laden était contre l'utilisation de tout système moderne, que ce soit l'électricité ou même le frigo - imaginez, dans ces pays chauds !), c'est son mari qui décide si elle a ou n'a pas besoin de servantes, etc. Elle ne s'occupe de ses enfants que lorsqu'ils sont très jeunes ; ensuite, l'éducation des garçons est décidée entièrement par leur père.  Les filles restent avec leur mère, enfermées jusqu'à ce que leur père leur choisisse un mari. La supériorité des hommes se marque jusque dans les petits détails : une épouse sera beaucoup mieux considérée si elle met au monde des garçons, et à la naissance du premier, on l'appellera "Mère de...", ce qui est presque un titre de noblesse. 

On lit également entre les lignes la manipulation mentale qui amène Najwa, une jeune femme moderne et amoureuse, à accepter une vie de plus en plus soumise et de plus en plus sordide. Au début, comme toute jeune mariée, elle veut plaire ; son mari lui expliquera bien vite que lui plaire signifie se soumettre à la moindre de ses décisions, et que c'est pour son bien à elle, puisqu'il la protégera. Au fur et à mesure, il lui en demande de plus en plus, jusqu'à lui la permission de prendre une seconde femme... ce qu'il justifie par le besoin d'avoir un grand nombre d'enfants qui deviendront de "bons musulmans".  Elle hésite et croit avoir le choix de dire "non", mais en tant que lecteur, on se rend bien compte que son conditionnement et sa position de dépendance rendent ce choix très illusoire.  Finalement, Ben Laden prendra trois autres épouses, et la femme amoureuse devra partager son "protecteur".  Même en tant qu'épouse, elle est évincée. 

A la fin de l'histoire, Najwa se rend enfin compte qu'elle est réellement en danger auprès de son mari qui s'est attiré l'hostilité de nombreux pays et s'est profondément engagé dans la violence. Elle demande donc la permission de partir, la seule liberté qui lui soit encore accessible, et l'obtient. Mais une permission accompagnée d'une condition d'une cruauté choquante : qu'elle laisse derrière elle ses jeunes enfants de 10, 7 et 4 ans... Comment peut-on imposer ça à une mère ? 

En résumé, ce livre est la narration de la vie dans l'antre d'un monstre, et en soi, il donne un aspect réel à un homme si différent de nous qu'il est difficile de se l'imaginer. Les témoignages se terminent en 2009, année de publication du livre. La suite de l'histoire, on la connaît : plusieurs des fils de Ben Laden dont l'enfance est décrite dans ces pages s'engagent dans le jihad, tuent et meurent ; d'autres disparaissent ; Ben Laden lui-même est finalement découvert et assassiné. Quel énorme gâchis. Je crois que ce livre est l'histoire la plus triste que j'aie lue depuis longtemps. 


Pour en savoir plus :
- acheter ce livre sur Amazon
- un article du Time sur ce livre (en anglais)

2 commentaires:

  1. La condition des femmes dans certains pays musulmans n'est pas une sinécure !

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  2. Oh oui c'est le moins qu'on puisse dire :/

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