04 juin 2010

Les abeilles de Monsieur Holmes, de Mitch Cullin

Après avoir chroniqué les premières enquêtes de Sherlock Holmes hier, on passe directement et sans transition au Sherlock âgé. C'est un peu brutal, mais j'espère que vous me suivez bien parce que c'est une découverte qui en vaut la peine !

Résumé :

Pour une fois qu'une quatrième de couverture constitue aussi un excellent résumé, je vous la mets : "Sussex, 1947. A 93 ans, Sherlock Holmes vit retiré, loin d'un monde dont les mutations et le tapage absurde lui échappent de plus en plus. Seuls le préoccupent à présent ses abeilles, l'écriture, et le déclin de sa mémoire. Mais certains êtres cherchent encore auprès de lui des réponses essentielles sur la vie, l'amour ou les limites terriblement humaines de la raison, provoquant la résurgence d'émotions que Holmes avait si longtemps enfuies, fissurant sa maîtrise légendaire..."


Mon avis :

Dans ce roman assez inattendu, l'auteur s'attèle à un double défi : d'une part, humaniser un personnage originellement caricatural, d'autre part, vieillir un personnage adulé pour sa jeunesse et de sa vivacité d'esprit. Un pari terriblement risqué qui aurait pu facilement déraper et dénaturer le héros, ou glisser vers un essai philosophique ou déprimant sur la vieillesse. Rien de tout cela, le défi est brillament relevé.

Pourtant, le début est plutôt lent. Il suit le rythme de vie d'un homme à l'âge respectable, qui se déplace à petits pas et ne se souvient pas toujours du contenu de ses poches. Monsieur Holmes a pourtant gardé suffisamment de vitalité pour voyager jusqu'au Japon, vitalité qu'il attribue à la gelée royale de ses abeilles. Il partage sa passion pour l'apiculture avec le fils de sa nouvelle gouvernante, le jeune Roger qu'il a pris en amitié. Le récit alterne entre la narration de son voyage, la lecture d'un manuscrit sur un cas résolu dans sa jeunesse (pas particulièrement mystérieux, il faut l'avouer) et les minuscules événements qui constituent sa vie quotidienne. Lectrice impatiente, j'aurais pu me fatiguer de ce rythme peu soutenu si la magnifique couverture, les pages au papier épais et granuleux et la police particulièrement agréable ne m'avaient soudé ce livre aux mains.

Mais au fil des pages, on s'attache au personnage. Le Sherlock Holmes créé par Conan Doyle était un personnage caricatural, intéressant mais difficile à vivre, impossible à comprendre, mono-maniaque et limite bipolaire. Il ne s'intéressait pas aux personnes mais aux cas et semblait souvent n'avoir aucun coeur. Ici, Mitch Cullin s'attache à lui en créer un. Il ne tombe pas dans la facilité, le personnage dur-à-l'extérieur-mais-fragile-à-l'intérieur. Pour lui, le docteur Watson a correctement décrit son ami, il était réellement aussi insensible et sûr de lui qu'il en avait l'air. Mais l'âge et une expérience en particulier ont mis à jour la fragilité qui en fait un être humain malgré lui, et les techniques qu'il a dû inventer pour conserver sa maîtrise légendaire.

Malgré les années, malgré sa mémoire qui l'abandonne et la solitude qui l'entoure, Sherlock Holmes est resté le même. Il continue à analyser chaque événement avec la logique froide qui le caractérise. En lisant pour une fois son histoire de son point de vue, on découvre les malentendus qui naissent de sa lucidité et de sa façon brute de l'exprimer. On découvre aussi quelques moments particulièrement touchants où, fragilisé, il ne sait comment gérer les émotions qui finissent par l'atteindre. Et puis les doutes qui finissent par naître dans son esprit cartésien.

Au total, ce roman est une oeuvre très subtile, touchante et profonde. J'ai versé quelques larmes, non pas sur le sort d'un Sherlock vieillissant qui en réalité le vit très bien, mais à cause de la tendresse que j'ai ressentie pour Monsieur Holmes - un sentiment dont j'étais bien loin quand il s'agissait du grand détective. Je ne pourrais que recommander cette lecture, une très belle surprise. Un grand merci aux éditions Naïve Livres pour cette belle découverte !

Pour terminer, un court passage qui vous donnera une idée de l'atmosphère :
Tout à coup, comme il refermait l'album, Holmes se sentit submergé par la grande lassitude qu'il avait introduite avec lui dans la fermette. Le monde a pris un mauvais virage, se surprit-il à penser. Il a changé au tréfonds de lui-même, et je ne suis pas capable de comprendre ce qui s'est passé. "Qu'est-ce donc que la vérité ? lui avait demandé un jour M. Uzemaki. Comment y parvenez-vous ? Comment dévidez-vous l'écheveau du sens quand celui-ci ne souhaite pas être connu ?"
- Je ne sais pas, fit-il alors tout haut, seul dans la chambre de Roger. Je ne sais pas.
Il s'allongea contre l'oreiller du garçon et, l'album serré contre la poitrine, ferma les yeux.
- Je n'en ai pas la moindre idée... je n'ai pas le moindre indice.


Pour en savoir plus :
- la page bibliomania du livre
- la page Facebook des éditions Naïve Livres, avec l'actu de leurs publications.

8 commentaires:

  1. Merci pour cette critique! Ce livre me donne envie!

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  2. Très jolie note. C'est vrai que cet Holmes là a l'air plus intéressant que Robert Downey Jr.

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  3. Joli billet effectivement, je note aussi.

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  4. Non non non ! Tu n'auras pas ma pal comme ça !

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  5. Excellent je le note volontiers. Merci pour ce joli billet.

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  6. Rien que le titre et la couverture donnent envie d'ouvrir le livre, mais alors ton article en remet une bonne couche ! :D

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  7. J'ai essayé de le trouver pour le swap Holmes (vu que je swappais Abeille) mais en vain :(

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  8. Je l'ai lu aussi, et beaucoup aimé comme toi !!! un coup de coeur !!

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