20 septembre 2011

Claudine en ménage, de Colette

Colette continue de nous décrire sa vie parisienne par le biais du personnage de Claudine dans ce troisième et avant-dernier volume de la série, publié en 1902. Loin de s'assagir, le roman contient peut-être son matériel le plus scandaleux.


Résumé :

Désormais mariée à Renaud, et malgré un voyage de noces qui la ramena entre autres à Montigny, Claudine s'ennuie de plus en plus à Paris. Pendant que son père lui mijote une grande annonce surprise, le couple, sur les instances de Renaud, se met à recevoir. Durant l'une de ces soirées, Claudine fait la connaissance de la jolie Mme Lambrook, Rézi, qui va finalement éveiller en Claudine un désir longtemps refoulé.


L'avis de Sanjuro :

Si les livres précédents n'avaient pas suffisamment choqué, en voilà un qui dut certainement faire sensation en son temps ! Jusqu'ici, il y avait eu beaucoup d'allusions mais sans jamais franchir le seuil sacré de la chambre. Pas de flagrant délit si vous voulez, il restait une part d'ambiguïté; après tout, Claudine n'était jamais concernée directement. Eh bien, à présent, adieu scrupules, adieu retenue ! Certes, cela reste très pudique, n'espérez pas de descriptions polissonnes, ce n'est pas du Sade, mais l'acte est tout à fait consommé, même dans ses variations saphiques.

La relation entre Claudine et Rézi, la jolie blonde (l'Américaine Georgie Raoul-Duval dans la réalité; si quelqu'un sait où trouver le portrait de cette tombeuse, qu'il me le fasse savoir !), est évidemment la pièce de résistance du roman. La culmination de cette pièce vient, arrive, avec une lenteur si prononcée que le récit finit presque par stagner et qu'on se demande alors si l'on ne nous mène pas en bateau. Mais quand soudain, quelque peu incrédule, on se retrouve devant le fait accompli, on se dit qu'il ne faut décidément pas sous-estimer ces vieux siècles et s'imaginer une rigueur de moeurs qu'ils ne possédaient pas toujours.

Néanmoins, il n'y a pas que cette intrigue libertine qui fait de Claudine en ménage un volet plus intéressant que son prédécesseur. Le vrai sujet, c'est le mariage de Claudine/Colette, qui commence à montrer des signes d'érosion, peut-être parce qu'il n'a jamais été bien solide malgré l'admiration naïve qu'elle porte à son mari. Lorsque Claudine songe à sa vie conjugale, décrit ses attentes, critique la permissivité de son conjoint et dénonce son manque d'autorité, c'est Colette qui envoie des signaux à Willy.

C'est ce qu'il y a de fascinant dans les Claudine en général et ce livre en particulier, c'est la manière dont ils recoupent avec le réel. En s'intéressant un peu à la vie de Colette, on comprend bien où cela va emmener Claudine, on sait que Renaud n'est pas aussi admirable qu'il lui semble. On devine certaines choses qui lui échappent encore, certaines choses aussi qui ne sont pas discutées dans le roman mais affectent leur relation (la poule aux oeufs d'or que son talent représente pour lui). La conclusion optimiste d'ailleurs, qui tient presque de leçon matrimoniale, contraste avec le titre du roman suivant et final, Claudine s'en va.

Avec tout ça, le style de Colette continue de se perfectionner, devient de plus en plus littéraire avec par moments des intonations poétiques. Les belles phrases, bien tournées, abondent et les évènements leur offrent l'occasion de se multiplier. Mais hélas, il perd aussi la légèreté narquoise et la vivacité adolescente du tout premier roman et l'on soupçonne que la maturité sexuelle et le drame final auront définitivement raison de cette facette de Colette. Plus troublant, on voit apparaître, dans ce chapitre à l'école de Montigny où le couple est en visite, une ombre. Cette façon insidieuse que Claudine et Renaud ont de tourner autour des trois jeunes filles en pension est résolument déplacée. On pense alors à Mlle Sergent, à Dutertre, aux prédateurs et à leur proies, et on se dit que les rôles sont désormais inversés.

Note: Une anecdote étonnante circule au sujet de ce roman. Il fut d'abord imprimé sous le nom de Claudine Amoureuse, mais Georgie Raoul-Duval, Rézi, aurait racheté l'édition originale pour la détruire, forçant Colette à en remanier le contenu.

4 commentaires:

  1. Je suis étonnée qu'en 1902, un roman présentant une relation homosexuelle ait pu être publié sans soucis. Comme tu dis, je "sous-estime ces vieux siècles" :) Décidément, au fil des épisodes, tu me donnes vraiment envie de lire ce classique.

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  2. Et j'attends de connaître ton avis, sur le premier volume en particulier, avec intérêt!

    Oui, moi aussi ca m'a étonné qu'un roman pareil soit publié; d'un côté ca explique aussi pourquoi les Francais ont longtemps eu une réputation de dévergondés à l'étranger. On l'a peut-être toujours d'ailleurs, mais plus sans doute à cause de la littérature.

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  3. En ce qui concerne Georgie Raoul-Duval, si la photo ne se trouve pas sur le net, il te reste une petite chance de trouver un portrait (si pas en images, au moins en mots) là : http://www.helmet.fi/record=b1547628~S9
    A moins que tu ne l'aies déjà lu ?

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  4. Non, je ne l'ai pas lu, mais j'avais vu la critique de ce livre sur un site américain il me semble. Je ne suis plus dans le monde de Colette en ce moment, mais peut-être que j'y retournerai.

    Je n'ai pas vu le portrait de "Rézi" mais j'ai vu celui de "Renaud" par contre. Il est sur Internet. Il ressemble beaucoup plus au Willy que j'avais en esprit qu'à ce formidable Renaud qu'elle décrit.

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