02 mars 2013

La fée carabine, de Daniel Pennac


Et on reparle de Pennac et de Malaussène ; je vous avais prévenus ! 


Résumé :

La vie de Benjamin Malaussène n'a pas beaucoup changé depuis l'époque où les bombes pleuvaient autour de lui. Il veille sur ses frères et soeurs, sur sa mère enceinte, sur son chien épileptique et sur une bande de papys en désintoxication. Sa Julie a disparu pour écrire un article sur une filière qui drogue des vieillards. Mais le quartier est en ébullition : des vieilles dames se font égorger et un policier chargé de leur protection est transformé en fleur d'une balle dans la tête. La police est sur les dents, et évidemment, toutes les pistes mènent à Benjamin Malaussène, bouc-émissaire professionnel...


Mon avis :

Lors de ma première lecture de la série Benjamin Malaussène, ce tome avait été mon préféré. C'est d'ailleurs le premier que j'ai lu, sans rien savoir ni sur le livre ni sur l'auteur : je l'ai trouvé dans une bibliothèque publique à Folkestone, Angleterre, alors que j'y passais un mois pour apprendre la langue. La bibliothèque faisait une "semaine francophone", moi j'avais bien besoin d'un petit contact avec ma langue maternelle, j'ai ouvert quelques pages par curiosité, et je suis tombée sous le charme.
Ce même charme a parfaitement opéré cette fois-ci aussi.  Il faut dire que le tout premier chapitre est un chef d'oeuvre : je défie qui que ce soit de le lire et de ne pas avoir envie de continuer jusqu'à la dernière page du livre. En quatre pages, on plante le décor, on retrouve le style de l'auteur au plus haut de sa forme, on plonge dans la tête d'un personnage, et on lance l'intrigue avec un premier meurtre tout à fait inattendu (et absolument dégoûtant, quand on y pense, mais Daniel Pennac nous prouve qu'on peut raconter un meurtre avec poésie).

La suite de l'aventure est à l'avenant : impossible à lâcher. Par rapport au premier tome de la série Malaussène, on découvre quelques nouveaux personnages, surtout dans la police : Pastor, Van Thian et Cercaire s'ajoutent au commissaire Coudrier et à sa clique.  Les deux premiers ont d'ailleurs un relief tellement empreint de réalisme et aussi une spécificité si marquante qu'ils en sont inoubliables. En fait, le seul point faible dans les marionnettes de ce théâtre, à mon avis, c'est Julie Corrençon, la "tante Julia" du tome précédent : on en apprend un peu plus sur elle et sur sa carrière, et si elle a l'air un peu "décalée" comme le reste des personnages, cette fois-ci j'ai trouvé que l'auteur en faisait trop. La baroudeuse increvable genre Lara Croft moderne, très peu pour moi. Mais c'est un tout petit détail, surtout que dans ce tome, elle intervient très peu finalement.

Quant à l'intrigue, elle n'arrête pas de rebondir entre plusieurs petits mystères séparés qui se chevauchent : les vieilles dames assassinées, le meurtre de Vanini, l'enquête de Julie, les revendeurs de drogues pour les petits vieux, et l'histoire personnelle de Pastor (et notamment, sa capacité extraordinaire à faire avouer les malfrats les plus récalcitrants)... On n'a pas le temps de s'ennuyer et, mieux encore, on n'a même pas l'occasion de se mélanger les pinceaux.  Sur la fin, les différents morceaux du puzzle se mettent en place de façon assez extraordinaire, je dirais même magistrale : tout tombe juste comme par enchantement.

Mais ce qui m'a particulièrement frappée dans ce tome et lors de cette seconde lecture, c'est la façon dont Daniel Pennac insiste pour éviter tout manichéisme dans le monde qu'il construit. Chaque personnage est à la fois, sinon bon et mauvais, au moins du bon et du mauvais côté de la loi - à l'exception de Malaussène bien sûr, mais dans toutes les histoires dont il est le héros, il joue le rôle de l'ange qui porte toute la culpabilité du monde ; ça fait partie de son mythe. Les autres par contre n'échappent pas à la règle. Les policiers ont tous un côté hors-la-loi, entre celui qui apprend à ses petits-enfants à voler, celui dont les parents vendaient de la drogue, celui qui joue de la matraque pendant les manifestations mais s'attendrit devant les vieilles dames... Même chose pour les autres personnages : les petits malfrats du quartier passent en fait leur temps à surveiller les mamies, et certaines bonnes actions valent de la prison aux gentils qui n'hésitent pas à faire fi de la loi. L'auteur joue tellement bien à ce petit jeu qu'il en fait un ressort de l'intrigue : il s'amuse à faire passer certains personnages d'un côté à l'autre de la barrière pour nous prendre par surprise, et les vrais responsables sont loin d'être ceux qu'on aurait a priori qualifiés de mauvais.  

Comment expliquer ça ?  Par un petit côté légèrement anarchiste qui traine le long de cette série, le même qui rend Benjamin Malaussène allergique à l'autorité légale dans son genre le plus propre (le directeur du Magasin, le Secrétaire d'Etat aux Personnes Agées,...) ? Ou serait-ce une certaine capacité qu'a l'auteur de refuser les convictions inébranlables, même si ça complique la vie de ses personnages ?  Benjamin le met très bien en mots :
"Je voudrais appartenir à la grand, belle Ame Humaine, celle qui croit dur comme fer à l'exemplarité de la peine, celle qui sait où sont les bons, où sont les méchants, je voudrais être l'heureux propriétaire d'une conviction intime, putain que j'aimerais ça ! Bon Dieu, comme ça simplifierait ma vie !"
Voilà un message que j'apprécie et qui fait de ce roman un petit peu plus qu'un divertissement ordinaire.

Bref, ce fut un véritable ravissement que de me replonger dans ce roman qui reste l'un de mes préférés, tous genres confondus. A lire absolument.


Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- le challenge Daniel Pennac de Georges
- l'avis de Flo_Boss, qui a découvert Pennac grâce à ce livre - autrement dit, les impressions d'un néophyte pour contrebalancer mon enthousiasme un peu débordant !



7 commentaires:

  1. J'ai un très bon souvenir de ce livre et cet article me donne l'idée et l'envie de le relire, merci :)

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  2. "Share the love", c'est ma devise :)

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  3. J'adore cette Saga... c'est tellement bon à lire ! Et tu en parles très justement ! :D

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  4. Bonjour,
    il ne me semble pas qu'à l'époque (il y a bien vingt ans...) j'aie lu tous les tomes de la série mais je me souviens que celui-ci était aussi mon préféré. Ce billet me donne envie de retrouver toute cette clique...

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  5. J'adore ton billet ! il reflète, à mon avis de passionnée de Pennac, exactement l'ambiance et le sel de ce qui fait son écriture. Je participe aussi au challenge, j'avais prévu de refaire un tour chez les Malaussène and co... et puis, j'ai trouvé plein d'autres titres qui m'ont déviée de mon projet. Mais, que Benjamin se tienne bien ! je ne vais pas le laisser tomber comme ça !!!

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  6. Un très beau billet. J'ai beaucoup aimé retrouver Pennac avec ce titre. Un régal!

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  7. Comme toi, j'ai été très surprise de voir sans cesse les gentils faire des actions méchantes et vice versa ! C'est vraiment une lecture très agréable :)

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