07 avril 2013

La Dame en Blanc de Wilkie Collins


Vous connaissez cette sensation quand on commence un roman sans vraiment savoir à quoi s'attendre, juste parce qu'on en a entendu vaguement parler une ou deux fois, parce que c'est un classique et parce qu'il atterrit gratuitement sur la liseuse, et puis qu'on se retrouve à passer une nuit blanche parce qu'il est impossible de le lâcher ?


Résumé :

Le jeune professeur de dessin Walter Hartright est engagé pour quelques mois dans une famille à Limmeridge, dans la campagne anglaise. La veille de son départ, il croise à Londres une jeune femme toute habillée de blanc, qui a très peur d'un certain baronet, et qui semble échappée d'un asile psychiatrique. Une fois arrivé à Limmeridge, il fait la connaissance de ses deux élèves : l'astucieuse Marian et la belle Laura, qui ressemble étrangement à la femme en blanc. Laura doit justement épouser un baronet, et Walter et Marian ont un mauvais pressentiment...


Mon avis :

Qu'est-ce qui fait que certains auteurs gagnent leur place dans l'Histoire, tandis que d'autres, tout aussi talentueux, sont relativement oubliés ? Je pense à ça en comparant Wilkie Collins et son contemporain et ami, Charles Dickens. Dickens est connu dans le monde entier, et je viens seulement de découvrir Wilkie Collins. J'imagine que les genres littéraires qui les distinguent ont quelque chose à voir avec leurs notoriétés respectives : le premier s'est attaqué à des thèmes sociaux graves, tandis que le second s'est distingué dans un genre peut-être moins "honorable", les romans "à sensation" comme ont les appelait à l'époque - un genre qui rassemble notamment les romans policiers. On considère même La Dame en Blanc comme le premier de ce genre.

Ou bien c'est lié au style, bien plus grandiloquent, de Dickens. Si les phrases de Collins sont joliment tournées, elles servent avant tout une intrigue où l'accent est mis sur la tension qui monte petit à petit. Dickens par contre a la science des phrases grandiloquentes, des descriptions grandioses et des passages qu'on a envie de retenir par coeur.

Il n'empêche que, si j'ai toujours pris beaucoup de plaisir à lire Dickens, je n'ai jamais eu envie d'y consacrer une nuit blanche. Et ça a été le cas avec La Dame en Blanc. A partir du moment où le conte Fosco est entré en scène, je n'ai plus pu arrêter ma lecture.

Quels sont les ingrédients de ce charme ? Je pense que c'est le mélange très réussi entre la littérature classique du XIXème siècle et une intrigue de type thriller psychologique très moderne. Ca commence comme une histoire de Jane Austen : deux jeunes femmes riches, un gentil professeur de dessin, une histoire d'amour, un mariage arrangé... Il y a même le personnage caricatural dont Jane Austen raffolait, en la personne de Frederick Fairlie, oncle et tuteur hypocondriaque et particulièrement désagréable. Et il n'est pas difficile de déceler une touche de critique sociale qu'on retrouve régulièrement dans la littérature de l'époque, celle portant sur la condition d'une femme riche spoliée par son mari dont elle est dépendante légalement. Voilà déjà un style que j'apprécie, et l'histoire d'amour gentillette qui aurait pu gâcher l'affaire n'est pas trop tirée en longueur.

Puis vient la suite, la partie vue par Marian. Et là, l'histoire se transforme petit à petit en un huis-clos angoissant au possible. On ne sait plus qui est bon et qui est méchant, ce que pressent Marian et ce qu'elle s'imagine, on se rend compte que la vie de certains personnages est en danger...  Le tout sur le fond d'une aristocratie anglaise qui maintient à tout prix ses bonnes manières, sans que la moindre arme ne soit mentionnée ni la moindre menace directe prononcée.

La troisième partie du livre m'a tout autant plue ; il s'agit là d'une enquête très proche de celle d'un détective privé, où notre héros parcourt l'Angleterre pour découvrir les secrets des méchants qui l'ont spolié. On a droit à des interrogatoires, des filatures, la découverte de documents secrets, et pour finir une confrontation mémorable... Tout ça digne d'un bon polar américain. Sauf que nous sommes toujours dans l'Angleterre du XIXème siècle, et qu'entre deux filatures, notre détective joue les gentlemen protecteur de ces dames.

En plus de l'intrigue très (sur)prenante, une des grosses qualités de ce roman, ce sont les personnages. Dans une certaine mesure, l'auteur a réussi à s'affranchir des préjugés de son époque. Les femmes sont toujours de faibles créatures (surtout Laura), mais Marian est bien plus que cela : sensible, très intelligente, volontaire, prête à se battre, et le tout sans être pour autant masculinisée. Une véritable réussite, dès les premières pages où on la rencontre. Parmi les autres, l'auteur s'approche parfois dangereusement de la caricature, mais en-dehors peut-être de Frederick Fairlie (et encore, je l'ai trouvé assez crédible dans son genre), il n'y tombe pas. On a alors tout le loisir de détester ou de craindre, selon les cas. Le conte Fosco est absolument fabuleux, c'est véritablement un personnage plus grand que nature et qui monte tout de suite sur mon podium des plus grands méchants de la littérature.

Pour terminer dans les louanges, j'applaudis aussi la façon dont l'histoire est racontée par plusieurs narrateurs, une nouveauté pour l'époque. Ça permet de casser un peu la monotonie de la narration (le roman est quand même très long) et certains narrateurs ajoutent une touche presque comique dans leur façon très typée de voir les évènements.

Les seuls défauts que je trouve à cette histoire, c'est un début un peu lent peut-être, et un dénouement basé sur un gros coup de chance ; pour ceux qui savent de quoi je parle, l'histoire des sociétés secrètes, j'ai trouvé ça un peu tiré par les cheveux.

Bref, voilà l'une des plus belles découvertes que j'aie faites depuis longtemps, un "coup de coeur" comme on dit souvent sur la blogosphère, et une nouvelle admiration pour un auteur qui mérite d'être mieux connu et que vous retrouverez sans aucun doute sur ces pages.


Pour en savoir plus :
- l'avis de Gentiane, qui cite quelques passages illustrant bien l'atmosphère et le caractère du conte Fosco, celui de Milathea, qui n'a pas du tout aimé et a trouvé le style vieilli.

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