20 décembre 2009

Deux romans de Franck Thilliez

Une amie m'a généreusement prêté deux thrillers de Franck Thilliez; c'est un auteur français qu'elle adore et que je ne connaissais pas du tout. J'ai donc lu "Deuils de miel" et "La forêt des ombres" pour découvrir pleinement son oeuvre. Et pour une fois, je vous offre une double critique...


Résumés:

Dans Deuils de miel, on découvre le commissaire Sharko, un héro qui a visiblement déjà été présenté au public de Thilliez via une autre oeuvre. Il a perdu sa femme et sa fille dans des circonstances particulièrement traumatisantes, et le voilà qui doit se forcer pour faire encore face à la vie et dominer ses pulsions de vengeance. Sa reconstruction passe par la reprise du métier qui est toute sa vie maintenant, celui d'enquêteur. On lui confie donc un cas particulièrement surprenant: une femme retrouvée morte, agenouillée, nue et entièrement rasée dans le confessional d'une église. Elle a visiblement été assassinée d'une façon inédite: ses organes ont implosé. Et voilà Sharko parti à la chasse d'un meurtrier amateur d'énigmes aussi cruel qu'astucieux...

La forêt des ombres met en scène David Miller, embaumeur et auteur de polars amateur, qui est un jour contacté par un vieil homme handicapé, Arthur Doffre. Celui-ci lui fait une offre étrange: il lui demande, contre une rémunération mirobolante, de l'incarner dans un polar où il ferait également revivre un tueur en série historique terriblement cruel et dont le mystère n'a jamais été totalement percé. Et comme si ce n'était pas déjà assez bizarre, il exige que David vienne écrire son roman, en un mois, dans un chalet perdu au milieu des bois. Evidemment, dès que David, sa compagne et sa petite fille arrivent sur les lieux avec Doffre et sa compagne, les mauvaises surprises s'accumulent, et petit à petit la psychose s'installe...


Mon avis:

Tout à fait honnêtement, même si j'ai été contente de découvrir un auteur assez populaire en ce moment (et merci à Gaëlle pour le prêt), j'ai été assez déçue de ces deux lectures. Il y a des thrillers dont l'intrigue palpitante fait oublier la pauvreté du style; des polars dont les personnages hors du commun dissimulent une intrigue sans grand intérêt; des romans noirs dont le style rachète les faiblesses du fond. Mais ces deux romans-là n'ont pas grand-chose à offrir au lecteur exigeant ou blasé.

Point de vue intrigue, d'abord. A ce niveau-là, "Deuils de miel" a une longueur d'avance: si le jeu de piste mis en place par le tueur est quand même largement capillotracté (terme qui fait beaucoup plus sérieux que "tiré par les cheveux", il faut bien l'avouer), le lecteur a au moins la satisfaction de ne pas pouvoir deviner les rebondissements de l'enquête. Quoi que, ceci ne vaut pas pour un petit mystère annexe franchement facile à résoudre bien avant le héro. Par contre, en ce qui concerne "La forêt des ombres", quelle déception ! Au fur et à mesure que le soi-disant mystère se met en place, on repère sans le vouloir les éléments qui seront censés créer la panique. Ils sont tellement évidents que ça en est désespérant. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'aurais pu deviner pas à pas ce qui allait se passer, mais quand on souhaite être surpris par le tableau et qu'on commence par nous déposer tous ses éléments en main, c'est beaucoup moins amusant... Pour tout dire, arrivée au milieu du livre, je n'avais plus tellement envie de savoir la suite. La mort pour un polar !

Reconnaissons quand même à Franck Thilliez une certaine inventivité dans la création de ses décors. D'accord, le chalet dans les bois construit autour d'un chêne, ce n'est pas courant. Les expériences qu'on y mène non plus. L'épave abandonnée dans un espèce de dépotoir à bateaux où il emmène Sharko, le confessional de l'église où on lui offre la première victime, on ne les trouve pas dans tous les polars. C'est un fait. Mais "inventivité" ne veut pas dire "originalité". Les décors de Thilliez sont trop grandioses, comme sortis d'un film sans prétention, un assemblage de produits certifiés à haute teneur en adrénaline. Facile de placer un huis clos dans un chalet lugubre perdu au fond des bois et isolé par la neige; le jour où un auteur enfermera ses personnages dans un loft tout confort au milieu d'une grande ville et arrivera à y insufler une atmosphère de terreur, alors là je dirai bravo. Les scènes sont parfois un tel ramassis de clichés que ça en devient un peu ridicule, comme cette station de métro fantôme à laquelle on accède par le sous-sol d'un bar sordide... On a même les roulements de tam-tams en fond sonore et les néons malades pour illuminer la scène. Manquerait plus qu'un albinos aux mains de géant pour vous y conduire, mais pas de bol, on n'aura droit qu'au grand noir à dreadlocks...

Point de vue personnages, d'ailleurs. Là aussi, le maître-mot est: clichés. Sharko rentre parfaitement dans le moule du flic ravagé par la vie et la violence, et sa patronne c'est la belle plante parfaitement à l'aise dans son rôle de maîtresse au milieu des durs; David Miller c'est le brave type un peu rêveur et très amoureux, sa femme la mégère hystérique ou en bonne voie de le devenir, Doffre, le milliardaire impotent mais volontaire. Vous les avez déjà croisés ? Malheureusement, moi aussi. Ce qui ne leur donne pas plus de crédibilité, vous remarquerez. Comment peut-on être aussi impunément violent que Sharko, aussi naïf et prévisible que Miller ? Il est peut-être là, le mystère de l'intrigue.

Quant au style... Il varie entre le "passable" et le "médiocre". Je dois dire que j'ai eu du mal avec les dialogues, peu naturels. Pour le reste, ça se laisse lire, sans aucun intérêt. Ce qui est un mal courant au pays des thrillers, il faut bien l'avouer, mais pas systématique: je suis en train de lire un polar qui échappe totalement à cette règle, je vous en reparlerai. Et puis, dans d'autres cas, comme je le disais, on pardonne ce défaut lorsqu'on est transporté par une histoire palpitante... ce qui n'est pas le cas ici.

Pour conclure, je suis bien obligée de constater une chose: je suis devenue difficile en matière de romans policiers. C'est un genre que j'ai toujours aimé lire et à force, je vois trop vite les ficelles, je fais trop souvent des comparaisons, je ne suis plus aussi facilement surprise. C'est bien dommage pour moi, parce que ça m'a empêchée d'apprécier une lecture dans laquelle, je peux très bien le concevoir, certains trouveront beaucoup de divertissement. Dans tous les cas, Franck Thilliez et moi, je crois que ça n'a pas été le coup de foudre. Mais que ça ne vous empêche pas de tenter votre chance parmi ses pages...

08 décembre 2009

Le livre des choses perdues, de John Connolly

Voici un livre qui m'a été généreusement prêté (en anglais) par Miss Spooky Muffin. Elle l'a choisi elle-même, à ma demande, car j'adore les surprises. Et sur ce point-là, je n'ai pas été déçue: c'est une découverte pour le moins étonnante...


Résumé:

David, 12 ans, a hérité de sa maman une passion pour les livres de contes. C'est tout ce qu'il lui reste, quand sa maman meurt et qu'il se retrouve obligé de vivre avec une belle-mère et un demi-frère qu'il déteste. Des choses bizarres commencent alors à lui arriver: il s'évanouit sans raison, entend les livres parler, et aperçoit un Homme Biscornu qui fouille sa chambre en son absence. Puis, une nuit, la voix de sa maman l'appelle dans le jardin et l'entraîne à travers un passage caché. David se retrouve alors dans un autre monde, peuplé de créatures bizarres et dangereuses, où il brave chaque jour de nouvelles aventures pour atteindre le Livre des choses perdues qui lui permettra de rentrer chez lui...


Mon avis:


Quand Miss Spooky Muffin m'a apporté le livre, elle n'a pas pu le décrire plus précisément qu'en disant: "c'est un livre vraiment bizarre". Au moment de faire ma critique, je comprends son problème: comment décrire une histoire pareille ?

D'abord, sous de nombreux aspects, c'est un conte. Il est écrit comme un conte, en commençant par "Il était une fois" et en utilisant ce style si particulier des conteurs: une distance avec le sujet couplée à une description précise des faits et des pensées, une présentation factuelle et sans passion des scènes les plus terribles. J'ai beaucoup aimé ce style qui laisse au lecteur le soin de mettre lui-même les points d'exclamation, il a réussi à me toucher dès les premières pages.

C'est aussi un conte dans sa ressemblance à l'histoire d'Alice au pays des merveilles. Tandis qu'Alice suit un lapin dans son terrier, David suit la voix de sa maman au travers d'un trou dans un jardin un peu particulier. Tous deux se retrouvent dans un monde à la fois semblable au leur mais différent; celui de David n'est illuminé que par un demi-jour, les arbres sont étranges et la vie ressemble à celle du Moyen-Age, mais il a ses ponts, ses villages et ses routes comme n'importe quel monde. Dans les deux cas, le monde est peuplé d'êtres étranges, basés sur des êtres réels mais déformés par l'absurde. Enfin, David et Alice cherchent tous deux à retrouver leur monde à eux après avoir fait l'erreur de passer volontairement dans le nouveau.

Mais "Le livre des choses perdues" n'est pas qu'un conte. Tout le début se situe dans la réalité, une réalité qui n'est pas qu'esquissée comme dans les contes traditionnels, mais une réalité sérieuse, un monde en guerre, une perte affective, le sentiment de trahison de David vis-à-vis de son père. Ensuite, le monde dans lequel il atterrit n'a rien du monde loufoque et comique d'Alice. La plupart des créatures qu'il croise sont tantôt horribles et effrayantes, tantôt atrocement cruelles. David se fait des amis mais ils lui permettent surtout de revivre la douleur d'une perte. De nombreuses scènes sont du bon matériel à cauchemars: les corps mutilés et les morts atroces sont nombreuses, les pièges se suivent, les méchants comme les gentils sont dévorés par des créatures diaboliques, les enfants sont martyrisés et les donjons sont des lieux de terreur. Point de vue émotionnel non plus, le lecteur n'est pas épargné: David souffre et rencontre des gens qui souffrent aussi, il est confronté à la peur, à la douleur, et à des sentiments plus sombres qu'il ne comprend pas bien mais que nous traduisons comme la menace de la pédophilie.

Mais dans tout ça, ce conte-qui-n'est-pas-un-conte parle quand même de contes d'un bout à l'autre. On se rend compte au fur et à mesure que le monde où se retrouve David est constitué autour de ses propres pensées, et donc en partie autour des livres qu'il a lus. Des contes classiques sont ainsi transposés, souvent pour le pire. Le Petit Chaperon Rouge est en fait une jeune fille débauchée à l'origine d'un peuple de monstres, la Belle au Bois Dormant est une sorcière qui attire les chevaliers pour mieux les tuer, ce genre de choses. Dans l'édition que l'on m'a prêtée, il y a à la fin plus d'une centaine de pages d'explications de l'auteur, avec les contes originaux qu'il a utilisés et ses raisons de les inclure ou de les modifier; c'est très intéressant, et on se rend compte de la logique sous-jacente. Un passage seulement m'a vraiment fait rire: celui où David rencontre Blanche-Neige et les septs nains, mais une Blanche-Neige obèse et mégère qui vit avec des nains communistes, lesquels ont essayé de l'assassiner avec une pomme en faisant croire que c'était l'oeuvre de sa belle-mère. Je me suis tellement amusée en lisant ce passage que j'ai regretté qu'il n'y en ait pas plus sur le même ton.

Au total, ce conte-qui-n'est-pas-un-conte-mais-qui-parle-de-contes laisse une impression durable bien que difficile à définir. L'auteur a un don particulier pour créer une ambiance oppressante et pour présenter des tableaux puissants: l'arrivée de David dans le nouveau monde, suivi par un bombardier en feu, en est une; le champ de bataille médiéval au milieu duquel trône un tank flambant neuf en est une autre (dont je n'ai pas bien compris le sens, d'ailleurs). Le voyage est réellement initiatique pour David qui doit faire face à chacune de ses peurs, apprendre à accepter la mort de sa mère et à réaliser l'injustice de ses sentiments envers sa belle-mère et son demi-frère. Pour le lecteur, si l'apprentissage est difficilement transposable, c'est quand même un parcours qui fait souvent battre le coeur. Une expérience à tenter, vraiment.