Laissez-moi vous emmener en Estonie pour un drame historique et passionnel que je n'oublierai pas de sitôt.
Aliide, une fermière estonnienne âgée, trouve un matin sur le pas de sa porte une jeune femme en haillons et visiblement morte de peur. La jeune Zara est tellement pitoyable qu'Aliide, pourtant méfiante, la fait entrer chez elle. Mais Zara n'a pas abouti là par hasard : dans sa poche, une photo et les noms et adresse d'Aliide. Les deux femmes ont en commun quelque chose qui remonte à la jeunesse d'Aliide, à l'époque soviétique, quand se dévoile ce qu'une femme peut faire à cause de l'Histoire et par amour.
Mon avis :
Ca y est, je l'ai lu ! Enfin ! Je me demande encore comment j'ai pu laisser ce livre prendre la poussière sur une étagère pendant plus d'un an, alors que tout m'incitait à le lire : les nombreuses louanges, les multiples prix littéraires, et la renommée d'une auteur finlandaise dont on ne cesse de parler dans son pays d'origine. C'est peut-être la bande annonce d'un film (en finnois) basé sur cette histoire qui a provoqué le dernier déclic ? En tous cas, il était temps.
Le problème avec un roman encensé de toutes parts, c'est qu'on est toujours déçu. Heureusement, comme je m'attendais à être déçue, j'ai été moins déçue que si je ne m'y attendais pas (vous suivez ?). Et puis il me semble qu'au final, le test ultime pour discerner les romans qui valaient vraiment la peine d'être lus c'est l'effet qu'ils nous laissent à long terme. Je pense que celui-ci, je ne l'oublierai pas de sitôt.
Pour être tout à fait honnête, cette oeuvre utilise une recette éprouvée dans la littérature contemporaine : une rencontre, un drame familial, une narration sous forme de flash-backs mesurés pour maintenir un suspense qui se prolonge jusque dans les dernières pages. C'est classique. Il y en a qui font ça bien, il y en a d'autres qui font ça très, très bien. Sofi Oksanen appartient à la seconde catégorie. Une fois passé le premier quart (le début est un peu lent), impossible de déposer le roman avant d'en savoir plus sur le destin des deux héroïnes.
L'originalité de ce roman réside surtout dans le contexte. L'Estonie, voilà bien un pays méconnu pour nous, francophones ! La traduction française aurait d'ailleurs mérité un petit dossier historique pour que le lecteur ignorant puisse mieux situer les faits. Dans la version originale en finnois, les lecteurs ont certainement moins besoin de sous-titres, tant leur petit voisin outre-Baltique est proche depuis toujours (l'estonien est l'une des seules langues relativement proche du finnois, par exemple, et les Estoniens constituent l'une des minorités étrangères les plus importantes en Finlande). Sofi Oksanen doit le savoir, elle qui est la fille d'une immigrée estonienne.
Mais si ce roman en particulier a eu autant de succès, c'est, je pense, grâce au talent particulier qu'à l'auteur de nous plonger dans les heures les plus affreuses d'un pays soumis à la guerre, à l'envahisseur, et puis au communisme. A côté des méchants qui profitent de la corruption ambiante, il y a ceux qui y croient du fond du coeur, ceux qui se taisent, ceux qui s'abaissent aux pires horreurs pour sauver un proche, ceux qui n'ont plus aucune issue parce qu'ils sont du côté des perdants... Les atrocités que l'auteur nous raconte sentent la vérité et l'on vit au travers des personnages l'enfer d'être la victime d'un pouvoir autoritaire. C'est également ce que vit la jeune Zara, dans un autre contexte, et le parallèle entre l'histoire de ces deux femmes est criant.
Les personnages sont aussi l'un des gros points forts de ce roman. Zara est une victime, elle nous attendrit sans difficulté. Mais Aliide, elle, c'est plus compliqué. Elle est victime de l'Histoire et d'atrocités qui ne laisseraient personne indemnes, mais de son côté, on découvre petit à petit des secrets de plus en plus noirs, des actions de plus en plus impardonnables. Jusqu'où peut-on aller quand il s'agit d'amour passionnel, quand on a souffert au-delà de toute raison ? L'auteur ne se permet aucun jugement de valeur et laisse le lecteur avec son malaise, ce brouillard où le bien et le mal ne veulent plus dire grand-chose.
Bref, on peut pas rester insensible à cette descente aux enfers. Le ton neutre, qui joue sur les détails pour rendre le récit d'autant plus crédible, et la traduction très réussie servent parfaitement l'histoire. C'est le genre de chose qui prend aux tripes.
Mon seul bémol sera la complexité de l'intrigue sur la fin. Peut-être n'ai-je pas été assez attentive, pressée que j'étais de dénouer les derniers mystères ? Mais il y a quelques points que je n'ai pas bien saisis, quelques pièces du puzzle qui ne se mettent pas tout à fait en place. J'ai lancé une discussion à ce propos sur le forum de Livraddict, et il semble que je ne sois pas la seule à me poser ces questions. C'est probablement voulu, mais je trouve un peu dommage de laisser des angles morts comme c'est le cas. Heureusement, ce ne sont que des points mineurs de l'intrigue, ça ne gâche pas le plaisir de cette oeuvre très forte.
Il faut vraiment que je l'achète celui-ci :).
RépondreSupprimer