26 février 2014

Le procès, de Franz Kafka


Aujourd'hui, je vous présente une chronique dont je suis particulièrement fière : je l'ai commencée en me lamentant intérieurement de n'avoir rien compris au roman, et je la termine avec une (petite) idée de ce que l'auteur a (peut-être) voulu nous faire comprendre. J'espère que d'autres lecteurs pourront m'éclairer encore davantage !


Résumé :

Joseph K., employé de banque, reçoit un jour la visite de deux hommes qui semblent représenter la justice. On le conduit devant un greffier, mais on ne lui dit pas de quoi il est accusé, qui va le juger ni quand ça aura lieu, et il est laissé en liberté. A partir de là, il vit sous la coupe de ce procès absurde qu'il ne comprend pas et dont il attend le dénouement.


Mon avis :

Ca vous arrive parfois de lire un roman et, la dernière page tournée, de vous rendre compte que vous n'avez pas compris de quoi il s'agissait vraiment ? C'est une sensation bizarre, que j'ai déjà eue notamment avec Haruki Murakami : je comprends tous les mots, toutes les péripéties, mais je ne vois absolument pas de quoi il s'agissait, globalement. Je sais que ce roman fait partie des grands classiques de la littérature mondiale, que nombre d'études ont été faites à son sujet, et je me sens un peu bête d'avouer que je ne vois vraiment pas où l'auteur voulait en venir.

Mais commençons par le commencement.  Comme personnage principal, nous avons donc Joseph K., employé de banque, un peu borné, plutôt impatient, très égocentrique et à tendance libidineuse. Son caractère oscille sans cesse entre détestable et pitoyable, victime et bourreau, volontaire ou défaitiste ; autrement dit, il est insaisissable. En réalité ce n'est pas vraiment important puisque l'histoire porte sur ce qu'il lui arrive et la façon dont il le vit, pas réellement sur sa personnalité, mais alors pourquoi lui en donner une ? Pourquoi ne pas en faire un pion sans trait distinctif, qui représenterait l'homme normal dans sa généralité ? Même chose pour son nom : pourquoi lui donner un prénom et une initiale, pas un nom complet ni aucun nom du tout ?  Est-ce qu'il est quelqu'un ou est-ce qu'il est tout le monde ?

Ensuite, il y a l'intrigue, tout ce qui arrive à Joseph K et ses actions qui en découlent. Cette intrigue ne ressemble à aucune autre, et pourtant je peux vous décrire l'atmosphère très facilement : ça ressemble à un rêve légèrement angoissant. Vous savez, ces rêves où certains aspects sont très détaillés (les lieux, les décors, les sentiments) et d'autres complètement flous ? Ces rêves où on essaie sans cesse d'agir et de réagir de façon logique, mais où on ne cesse de faire face à des situations délirantes ? Ces rêves où il y a régulièrement des situations ou des détails complètement illogiques auxquels on trouve après coup une explication ?  Je pense par exemple aux trois hommes dans le placard, ou à la femme du portier de la salle d'interrogatoires : quand Joseph arrive la première fois, sa pièce est vide, quand il revient le lendemain, elle est entièrement meublée, alors il lui demande comment ça se fait, et elle lui donne une explication incroyable qu'il prend pour argent comptant. Autre exemple qui est typiquement onirique : quand il rencontre le greffier tout au début du livre, il y a trois hommes dans la pièce, qu'il ne connaît pas ; mais quand on lui annonce que ce sont des collègues, tout à coup il les reconnaît. C'est exactement comme ça que ça se passe dans les rêves (en tous cas les miens).

Tout est présenté sur un ton extrêmement réaliste, et en même temps, tout est impossible ; Joseph K vit dans une sorte de monde parallèle dont il se met vite à suivre la logique surréaliste. Le temps est déformé (un jour, il quitte le boulot en pleine journée pour se rendre chez son avocat où il arrive en pleine nuit), les lieux aussi (comme les greniers qui servent de tribunaux), il y a un aspect de tension sexuelle plutôt inexpliqué, l'accent est souvent mis sur l'atmosphère comme représentation d'un état d'esprit (quand il étouffe dans la maison du peintre, quand il se sent perdu dans la cathédrale...). Typiquement ce que je vis dans mes rêves les plus réalistes.

La seule chose logique là-dedans, en réalité, et ça va vous surprendre, c'est le système judiciaire. En gros, il n'a qu'un but : bafouer tous les droits de l'accusé de façon à être le plus inique possible. Du point de vue de la juriste que je suis encore un peu, c'est peut-être l'aspect le plus intéressant de ce roman : on se rend brutalement compte à quel point les principes judiciaires les plus importants sont en effet des garanties contre un système qui, sans eux, deviendrait tout à fait invivable. D'une rencontre à l'autre, Joseph K se rend compte qu'il n'a vraiment aucun moyen pour accéder à la moindre miette de justice. Il ne peut pas se défendre car il ne sait pas de quoi il est accusé et ne connaît pas ses juges. Il n'a aucune information sur l'évolution de son procès, sur le temps qu'il prendra, et n'apprendra même jamais son issue, il est donc condamné à vivre pour le reste de sa vie dans l'attente d'une éventuelle peine. Il ne connaît même pas les lois sur lesquels ce procès se base ; seuls les spécialistes y ont accès, lui ne reçoit que des informations parcellaires et contradictoires. De toutes façons, il semble que toute cette soi-disant justice soit entièrement subjective et les juges facilement corrompus. C'est comme un catalogue de tout ce qu'un système judiciaire ne peut pas être s'il doit être juste.

Au début Joseph K réagit de la même façon que nous le ferions ; il s'insurge, persuadé que tout ceci est une erreur ou une farce et que, comme il n'a rien fait de mal, l'erreur se résoudra toute seule. Par la suite, rien ne vient confirmer qu'il y a vraiment un procès ; il ne reçoit aucun papier, aucune information, ça pourrait toujours être une farce particulièrement élaborée et cruelle. Mais tout le harcèle : la rumeur publique, les soi-disant officiers, et tout un tas de personnages secondaires plus ou moins inexplicables. Alors il se met à y croire, à s'inquiéter et finalement à s'habituer à l'idée qu'il est peut-être coupable et que son destin ne dépend pas de lui. Peut-être que c'est là le message du livre : comment un système opaque peut détruire un homme... Mais alors, pourquoi l'avoir placé dans un monde surréaliste qui enlève toute vraisemblance à cette parabole ?

Avant de commencer ce roman, je savais un peu de quoi il s'agissait et je m'attendais à être frustrée par l'absence d'explication concernant le procès. Finalement, ce n'est pas ça qui m'a frustrée, car comme Joseph K, on se met à accepter ce qui ressemble plus à un destin qu'à une justice. Mais je n'ai jamais réussi à accepter tout le reste : les personnages absurdes, les situations insensées, les réactions de Joseph K qui oscille entre la logique et différentes obsessions inexpliquées.  Je n'ai pas détesté, non, sinon je ne me serais pas forcée à lire jusqu'au bout ; mais j'ai poursuivi cette lecture avec l'impression que je ne percevais qu'un centième de ce que j'aurais dû voir. Je me rends compte de l'utilité de certains personnages ou de certaines situations, car ils font partie du cheminement de Joseph K vers l'acceptation de son destin ; mais d'autres, par exemple les femmes, restent tout simplement incompréhensibles.

Il paraît qu'un bon livre est un livre qui fait réfléchir, et vu la longueur de ma chronique, c'est bien le cas ; mais puis-je qualifier de "bon livre" un roman qui me frustre au plus haut point ?  Un livre que j'ai lu avec l'impression de ne pas avoir les sous-titre, exactement comme quand Joseph reçoit son client italien ? Finalement, c'est peut-être ça le génie de ce roman, ce qui en fait un grand classique : il place le lecteur dans l'état d'esprit exact de son personnage principal. Comme Joseph, j'ai commencé par comprendre, puis je me suis perdue, je me suis battue pour retrouver un sens à tout ça, et finalement je me suis résignée.

J'ai commencé à écrire cette chronique un peu angoissée à l'idée de ne savoir rien dire d'intéressant ; et finalement, elle m'a aidée à éclaircir mes propres impressions et je suis plutôt satisfaite de ma conclusion. Voilà à quoi sert un blog, sans aucun doute !


Pour en savoir plus :



...et c'est aussi une lecture qui compte pour le challenge "chefs d'oeuvre de la SFFF", ce qui me permet de lire un des deux livres du genre "fantastique et trans-fiction" que je me suis engagée à découvrir !




3 commentaires:

  1. Ma lecture du "Procès" de Kafka remonte et je n'ai plus les idées très claires à son sujet. Je sais pourtant que si j'ai beaucoup aimé ce texte, c'est en partie du fait de son atmosphère onirique (qui est très bien retranscrite dans l'adaptation cinématographique d'Orson Welles). Du coup, j'ai relu le résumé de mon exemplaire et je relis sa préface.

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  2. C'est drôle, j'ai étudié ce livre en cours d'auteurs contemporains slaves. Il est dans ma bibliothèque, donc j'ai dû le lire. Mais je n'ai plus aucun souvenir de cette lecture, c'est malheureux [à force de nous bourrer le crâne, on oublie tout...]! J'avais vu le film d'Orson Welles, également, durant le cours. Certaines images me reviennent encore ainsi qu'une sensation de malaise, ressentie durant tout le visionnage. Je ne pourrais pas donc pas t'aider à y voir plus clair ! ;) Néanmoins, ton analyse est intéressante ! Tu en parles plutôt bien pour quelqu'un qui ne savait pas par quel bout prendre sa chronique ! :) Il faudrait que je prenne une fois le temps de le relire car c'est dommage de ne plus rien savoir en dire !

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  3. Bon, décidément, il faudra que je voie cette adaptation d'Orson Welles !

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