Je continue à varier mes lectures et vous parle cette fois-ci d'un témoignage lié à un fait divers tout à fait horrible...
Résumé :
En 2002, Michelle est une jeune mère célibataire qui essaie de récupérer la garde de son fils quand elle est kidnappée par le père d'une amie, Ariel Castro. Elle restera en captivité pendant 11 ans en compagnie de deux autres jeunes femmes. Onze ans de calvaire, d'abus sexuels, d'humiliations et de blessures autant physiques que morales. Délivrée en 2013, elle raconte son histoire.
Mon avis :
Si vous suivez ce blog, vous savez que je lis peu de témoignages. C'est un genre que je n'affectionne pas particulièrement car il me pose un problème : j'ai du mal à faire confiance à quelqu'un qui raconte sa propre histoire. Tout le monde a quelques chose à cacher ou à se reprocher, même les plus grands héros, même les victimes parfaites, et je ne pense pas qu'on puisse être tout à fait honnête quand on choisit de se dévoiler face au monde entier. Je préfère que l'histoire soit racontée par un tiers qui peut être plus objectif.
Mais ceux qui suivent ce blog savent aussi que je passe quelques heures chaque semaine à lire à haute voix et enregistrer des livres (en anglais) pour une jeune femme qui a des problèmes visuels. Elle et moi n'avons pas du tout les mêmes goûts, ce qui est une bonne chose : elle me permet de découvrir des univers où je n'aurais jamais plongé par moi-même. Généralement je ne vous en parle pas ici, d'une part parce que ce sont souvent des livres qui ne sont pas sortis en français, d'autre part parce que ce ne sont pas des lectures qui se prêtent à un commentaire ou que j'ai envie de recommander. Mais le challenge "Un genre par mois" d'Iluze imposait pour le mois de septembre la lecture d'un livre non-fictionnel, et celui-ci fera parfaitement l'affaire.
Je suis sûre que vous avez dû entendre parler de cette histoire tragique découverte l'année passée : à Cleveland, aux Etats-Unis, trois jeunes femmes ont réussi à s'échapper de la maison où elles étaient tenues prisonnières depuis une dizaine d'année par un chauffeur de bus scolaire qui les utilisait comme esclaves sexuelles. L'une d'entre elles avait eu une petite fille, une autre était tombée enceinte plusieurs fois et avait été battue et affamée jusqu'à ce qu'elle avorte. Et si ce n'était pas encore assez sordide, les trois filles avaient été kidnappées à proximité, et l'une d'entre elles n'était même plus recherchée car la police estimait qu'elle avait dû disparaître volontairement. A l'époque, je m'étais posée la même question que des tas de gens, j'imagine : comment cela a-t-il pu arriver ? Comment garde-t-on trois jeunes femmes prisonnières pendant si longtemps, juste à côté de chez elles ? Comment l'une d'entre elles a-t-elle pu être si peu entourée qu'elle ne manque à personne ?
Michelle Knight était cette troisième jeune femme, la première kidnappée, celle que l'on n'avait pas vraiment recherchée. Elle raconte sa séquestration, mais aussi sa vie avant et depuis. Elle répond à toutes les questions pratiques que je me suis posées : comment garde-t-on trois femmes enfermées pendant dix ans, comment les empêche-t-on d'appeler à l'aide, comment trois femmes ensemble ne peuvent-elles pas arriver à vaincre un homme seul qui doit régulièrement s'absenter, comment peut-on survivre physiquement et mentalement à une telle captivité. Mais surtout, elle répond à tout un tas de questions que je ne me posais pas et dont elle ne se rend peut-être pas compte elle-même.
En fait l'histoire de Michelle c'est avant tout l'histoire d'une femme née pour être une victime, et c'est ça le plus effrayant. Physiquement, elle est déjà désavantagée : elle est toute petite, ce qui lui pose pas mal de problèmes (beaucoup d'emplois non qualifiés lui sont interdits car elle est trop petite pour atteindre les comptoirs par exemple). Elle a des problèmes d'élocution. Rien de bien grave, mais le genre de choses qui rend la vie un peu plus difficile, qui font que les gens la prennent un peu moins au sérieux.
Mais surtout, elle naît dans un milieu vraiment sordide : des parents sans emploi (et aux Etats-Unis, ça veut dire la misère) et d'après elle très peu impliqués, une petite enfance sans domicile fixe, puis des déménagements fréquents, des domiciles sans cesse partagés avec des membres de la famille étendue, un chaos permanent. Elle dit que dès son plus jeune âge elle devait s'occuper de ses petits frères et cousins à cause de parents démissionnaires ; ça sonne un peu comme une tentative de se faire passer pour une sainte, mais qu'importe : quel avenir peut avoir une enfant dans un milieu pareil ? Comment peut-on grandir et devenir responsable, capable de mener une vie ordonnée sans avoir le moindre exemple à suivre ? Elle dit qu'elle était sans cesse sale par manque de produits sanitaires à la maison et ça sent à nouveau un peu l'excuse, mais comment pouvait-elle apprendre l'hygiène quand personne ne le lui avait enseigné pendant son enfance ? Elle dit qu'elle manquait trop souvent l'école à cause de ses parents, mais de toutes façons, comment une jeune fille sale et vivant dans le chaos peut-elle réussir une scolarité ? Elle parle aussi de viols répétés par un membre de sa famille (qu'elle ne nomme pas) pendant toute son enfance ; elle n'apporte pas la moindre preuve mais dans un tel contexte de promiscuité, comment s'en étonner ? Son récit donne souvent l'impression qu'elle essaie de se justifier mais elle n'en a vraiment pas besoin : son milieu ne lui laissait aucune chance. Peut-être que si elle avait été particulièrement intelligente, si elle avait eu un caractère particulièrement fort, elle aurait pu s'en sortir... Mais ce n'est pas le cas et on ne peut pas lui en vouloir pour ça.
A partir de là, c'est une victime désignée. Elle n'a pas confiance en elle, pas de véritable ami, pas d'exemple à suivre, alors forcément elle tombera dans tous les pièges et il est difficile de dire qu'on aurait fait autrement. Elle fugue, vend de la drogue et échappe de peu à la prison avant d'être retrouvée par ses parents ; elle se donne au premier garçon qui voudra d'elle et tombe enceinte ; elle décide de garder cet enfant car elle espère que le bébé lui apportera l'amour dont elle a tant besoin ; ça l'oblige à quitter l'école et la voilà sans emploi, sans avenir, coincée chez ses parents ; et quand les services sociaux font pour son fils ce qu'ils n'ont pas fait pour elle et le lui enlèvent, elle n'a pas la discipline nécessaire pour se rendre à tous les rendez-vous pour le voir ou le récupérer. C'est sur le chemin de l'un de ces rendez-vous, paniquée car elle est en retard et ne sait pas où aller, qu'Ariel Castro, le père d'une amie, lui propose de l'aider et qu'elle devient sa première victime.
A partir de là, le sordide prend une forme matérielle : les viols, les années littéralement enchaînée, la saleté permanente (au début elle passe plusieurs mois sans pouvoir se laver !)... Ici aussi elle essaie un peu d'apitoyer et de se justifier, mais c'est tout à fait superflu : même si elle a eu l'occasion de s'enfuir et ne l'a pas saisie, on ne pourrait pas l'en blâmer. Après quelques mois dans un tel état de dépendance, je suis sûre qu'on doit perdre une bonne partie de sa volonté, si on n'est pas totalement brisé. Elle survit dans l'espoir de revoir son fils, mais même dans cette maison, elle reste la victime parmi les victimes : visiblement, son bourreau l'a kidnappée parce qu'elle était facile à avoir, tandis que ses deux autres victimes ont été choisies et désirées. Il sait aussi qu'elle n'est recherchée par personne, qu'elle n'a aucune valeur pour la société. Alors elle est battue plus que les autres, ses grossesses sont des ennuis dont elle est rendue responsable (tandis qu'il considèrera le bébé d'une autre victime comme sa propre fille), elle sert en permanence de torchon humain. Et je suis sûre qu'au fond d'elle, elle sait que rien ne l'attend dehors, alors pourquoi véritablement tenter de sortir ?
Franchement, je ne sais pas comment Michelle Knight a survécu. Ce que j'ai appris dans ce témoignage, c'est comment la vie ne laisse absolument aucune chance à certains. On parle de milieux défavorisés, de jeunesse en danger ; Michelle Knight est un cas d'école, une victime, bien longtemps avant d'être kidnappée. En fait cet enlèvement et peut-être ce qui pouvait lui arriver de mieux : grâce à cette expérience insupportable, elle est passée à la télé, a écrit un livre, a rencontré des gens qui peuvent l'aider et a peut-être repris un peu confiance en elle. J'espère de tout coeur qu'elle est parvenue à briser le cercle vicieux dans lequel elle est née.
Sur le même sujet, j'ai déjà lu l'autobiographie de Sabine Dardenne. Son calvaire m'avait complètement retourné et pourtant, à côté de ces femmes qui ont vécu cet enfer pendant 10 ans, c'était assez peu. Je ne sais pas comment on peut humainement survivre dans de telles conditions. Rien que de lire ton billet me donne des sueurs froides...
RépondreSupprimerAvec Sabine ce qui est pire c'est que c'était une enfant ; une adulte comprend au moins ce qui lui arrive et sait que c'est anormal, mais une enfant est tellement facilement manipulée... Argh.
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