26 novembre 2017

La Servante Ecarlate, de Margaret Atwood


J'avais très peur en entamant ce roman qu'il soit du genre hyper-pessimiste et me plombe le moral. A la place, il m'a complètement retournée et fait énormément réfléchir...


Résumé :

Les Etats-Unis de ce 21e siècle ont beaucoup changé. Suite à un attentat qui a détruit la présidence et le congrès, une dictature théocratique a pris le pouvoir. La loi se base sur une interprétation fondamentaliste de la Bible, les citoyens sont divisés en une hiérarchie très stricte, et les femmes en particulier ont perdu la plupart de leurs droits. DeFred, la narratrice, a été séparée de son mari et de sa fille.  Comme elle a déjà été fertile dans un monde où la stérilité est très répandue, elle est devenue une "servante écarlate" : elle est à la disposition d'un couple haut placé pour qui elle doit concevoir un enfant, sous peine d'être envoyée récolter des déchets nucléaires jusqu'à en mourir. Mais dans cette société ultra rigide où la moindre entorse aux règles peut valoir la peine de mort, il est encore possible de résister, ne serait-ce qu'en racontant son histoire.


Mon avis :

Voilà un roman sorti en 1985 qui a trouvé une seconde jeunesse grâce à une adaptation télé récente, et que j'ai découvert quand il a été choisi pour faire l'objet du Book Club de Livraddict de ce mois-ci. J'avoue que je n'aurais peut-être pas eu le courage de le lire sans ce petit coup de pouce ; le sujet est visiblement très sombre, et je m'attendais à une histoire vraiment plombante. J'ai quand même pris mon courage a deux mains et je l'ai téléchargé en version audio et langue originale, une nouvelle édition avec la narration particulièrement réussie de l'actrice Claire Danes et quelques nouveautés dont je vous parlerai plus bas.

L'intrigue est donc une narration à la première personne par une jeune femme dont le nom reste inconnu mais qui est renommée "DeFred" car elle est devenue l'esclave sexuelle du commandant Fred. Elle nous raconte ce qui lui arrive et comment elle en est arrivée là, chapitre par chapitre, et nous permet de comprendre les spécificités de cette société effrayante. Elle nous parle du lavage de cerveau auquel elle a été soumise, des nombreuses règles et procédures mises en place pour retirer toute humanité aux femmes comme elle, de tous les droits qui lui ont été enlevés, jusqu'à celui de lire... et malgré tout, elle nous prouve qu'elle a gardé un peu d'indépendance et un poil de rébellion car elle ne se prive pas de soulever l'absurdité d'une société aussi inégale et aussi hypocrite. DeFred vit une situation particulièrement cruelle car elle a connu la liberté, la vie d'une femme moderne qui travaille, fille d'une mère qui s'est battue pour l'émancipation de la femme... et du jour au lendemain, elle se retrouve tout en bas de l'échelle sociale, privée de toute liberté dans une société ultra-patriarcale. Tout est fait pour transformer la femme en un outil qui n'a d'autre ambition que de servir et qui sera jeté dès qu'il n'est plus utile (dans le cas d'OfFred : si elle s'avère infertile). Son témoignage met aussi en valeur toutes les stratégies subtiles pour déshumaniser les femmes, les monter les unes contre les autres, et les rendre en quelque sorte complices de leurs sort ; OfFred en est bien consciente et s'en veut de parfois, elle aussi, tomber dans le panneau.

J'avoue que le récit fait peur. Il a repris beaucoup de son actualité lors de la montée au pouvoir de Donald Trump et des politiques remettant en cause les droits des femmes, comme le droit à l'avortement.  Mine de rien, le vice-président des Etats-Unis refuse de se trouver seul dans une pièce avec une autre femme que son épouse... Ce roman est particulièrement glaçant parce que l'auteure a pris bien soin de ne rien inventer ; elle se contente de rassembler en une seule société les techniques d'oppression utilisées au cours de l'histoire. D'un point de vue pratique, par exemple, les droits des femmes leur sont enlevés en les identifiant grâce à leurs numéros de sécurité sociale qui distinguent les hommes des femmes, comme c'est toujours le cas aujourd'hui. En tant que lectrice, j'ai été partagée entre l'impression qu'un tel recul moral n'arrivera jamais, que c'est trop extrême... et d'un autre côté, l'impression que c'est terriblement réaliste. Au final il suffit d'un déclin brutal de la natalité et de l'action d'une secte bien organisée pour que la femme soit soudain vue comme une ressource et que la société se réorganise brutalement autour de cette prémisse. Il ne faut même pas l'accord d'une majorité ; une fois que le piège s'est refermé, toute insubordination est lourdement réprimée, la délation se répand, l'information est manipulée, on ne sait plus en qui faire confiance et par conséquent la résistance devient quasiment impossible. Il n'y a pas de faille dans la réalité alternative que nous propose l'auteure, pas un seul point sur lequel on puisse se dire avec confiance "ça n'arrivera jamais", tout ce qu'elle nous raconte est possible, est même déjà arrivé, et ça, ça fait vraiment très, très peur. 

Ce qui ajoute encore à la force de ce récit, c'est qu'il est extrêmement bien écrit. L'introspection de la narratrice n'est jamais ennuyeuse, même si le roman est très introspectif. L'information sur la société dans laquelle elle vit arrive au compte-gouttes, mais jamais trop lentement et on n'est jamais perdu. Les passages les plus durs sont racontés avec une justesse qui entraîne l'effroi mais pas une impression de violence gratuite. La narratrice interprète avec subtilité les relations avec les autres personnages qui sont surtout fondées sur des non-dits, elle nous raconte avec honnêteté sa honte de devoir collaborer avec ce système pour y trouver de minuscules raisons de continuer à vivre. Elle se trouve faible parce qu'elle a peur de la souffrance physique, mais elle est en réalité extrêmement forte de survivre, seule, à un tel enfer. 

Le dernier chapitre du récit lui ajoute encore une autre dimension sur laquelle je ne vais pas donner trop de détails pour ne pas gâcher la surprise de ceux qui n'ont pas encore lu le livre. D'une certaine façon, c'est la partie la plus révoltante ; on y minimise la souffrance d'OfFred au profit d'une analyse soi-disant scientifique qui se distingue surtout par son inhumanité. Elle offre quand même une dose d'espoir. En plus, ma version audio a été allongée avec du texte nouveau : des questions au professeur Pieixoto, proposées par l'équipe d'Audible, dont les réponses ont été rédigées par l'auteur elle-même. On en apprend plus sur l'histoire d'OfFred, avec toujours ce cynisme qui glace le sang. 

En résumé, j'ai été bouleversée par ce livre, qui est d'un réalisme époustouflant. Je crois que c'est la dystopie la plus intéressante que j'aie lue jusqu'à présent car elle nous parle autant de notre passé et de notre présent que d'un futur possible. Le style narratif est magnifique, pas uniquement un véhicule pour porter l'histoire. Et si vous avez l'occasion et les capacités pour le découvrir en anglais, je vous recommande chaudement la récente édition spéciale de l'audiolivre avec la voix de Claire Danes, car sa narration est impeccable et le contenu supplémentaire est vraiment intéressant.


Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- la discussion du Book Club

4 commentaires:

  1. Un très beau livre, difficile mais comme tu le dis il est encore tellement d’actualité...

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  2. Du coup le contenu supplémentaire m'intéresse beaucoup... Il faudrait que je vois s'il est disponible sans le livre audio.

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  3. L'histoire fait bien envie, j'avais envie de participer au Book Club mais je n'ai pas eu l'occasion de le faire finalement. Un jour, j'espère plonger dans cette histoire qui fait beaucoup parler de lui, et si toi tu adhères, je ne peux qu'essayer de me le caser un jour :)

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  4. Cette histoire remue énormément notamment parce qu'on a l'impression qu'inexorablement notre monde s'en rapproche. Peut-être pas de façon aussi drastique mais quand tu parles du vice-président américain, voilà, on en est là. Après, j'ai trouvé le style de l'auteur un peu froid et j'ai préféré la série télé. Je suis très intriguée, en revanche, par l'ajout dont tu parles.

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