10 novembre 2017

Too like the lightning (Terra Ignota tome 1), d'Ada Palmer


Parfois, on tombe sur un véritable OVNI littéraire, un roman qui n'est comparable à aucun autre. "Too Like the Lightning" est un magnifique représentant du genre.


Résumé :

Mycroft Canner est un meurtrier dans un vingt-cinquième siècle où il est devenu impensable qu'un être humain en tue un autre. Pour sa peine, il est esclave dans un programme où les condamnés sont contraints de réaliser les tâches qu'on leur impose en échange d'un repas. Et on se dispute ses services, car Mycroft a de si nombreux talents qu'il fréquente les grands de ce monde, les dirigeants d'états-nations dont l'équilibre a réussi à empêcher toute guerre depuis 400 ans. Mais Mycroft a un secret : Bridger, un enfant capable de transformer la réalité selon son bon vouloir, un espoir énorme et un risque insensé pour toute l'humanité, qu'il faut absolument garder caché.


Mon avis :

Ce livre faisait partie de la sélection pour les Hugos de cette année, que j'ai reçue en ebook en devenant membre de la Worldcon dont je vous ai déjà parlée. J'avais l'intention de lire le plus de livres possible de la sélection des différents prix, et bien entendu je n'ai pas trouvé le temps de le faire. Mais à la Worldcon j'ai croisé plusieurs fois son auteur, Ada Palmer, jusqu'à ce que je finisse par la considérer comme une sur-femme. Pensez donc : au même âge que moi, elle est professeur d'histoire à l'université (spécialisée en Renaissance et histoire des idées), elle est spécialiste de mangas et animés (elle animait un panel sur le sujet et donnait vraiment l'air de connaître toutes les séries dans la version originale japonaise), elle chante et écrit les chansons d'un groupe acapella qui met en musique la mythologie nordique en opposant les différentes sources (hyper impressionant si vous comprenez bien l'anglais), elle est handicapée à temps partiel par une maladie très douloureuse, et malgré tout ca, elle a réussi à sortir 4 romans en deux ans, dont le premier a reçu le Prix Campbell du meilleur premier roman, en plus d'être nominé pour le Hugo du meilleur roman. Cette femme est la preuve que certains arrivent à caser 48h dans une seule journée. Sachant ça, j'étais trop curieuse, il FALLAIT que je lise son premier roman.

J'ai rédigé moi-même le résumé ci-dessus et j'ai fait de mon mieux pour me concentrer sur l'essentiel, mais je le reconnais, il ne donne aucune idée de la richesse de ce roman. Détaillons un peu, donc. L'histoire se passe en 2454, ce que nous apprenons dès les premières pages où figurent les permissions des publication des six autorités principales du monde de l'époque. Il y a également des citations en latin et un avertissement concernant le contenu "Raté D par la Commission Européenne des Médias Dangereux" (bravo pour la traduction "ratée" du français...), ainsi qu'un approbatur concernant son caractère non-prosélytique par la commission sur la religion en littérature. Si ce mélange de futurisme et de moyenâgeux ne vous secoue pas encore assez les méninges, le narrateur, Mycroft Canner, emploie les premières pages pour expliquer pourquoi il va rédiger son compte-rendu des sept jours qui vont changer l'histoire de l'humanité... dans la langue de la Renaissance.

Après ça, il faut clairement s'accrocher. L'anglais d'époque n'est au final pas trop compliqué à suivre, malgré les appartés entre le narrateur et un lecteur hypothétique et les signes typographiques indiquant le changement de langue (voire parfois le texte en latin suivi de ses différentes traductions possibles). Mais l'auteur ne nous accorde aucun répit dans l'apprentissage, et il faut beaucoup de temps pour comprendre le monde dans lequel nous nous trouvons et qui a beaucoup, beaucoup changé, politiquement et socialement. Quelques exemples : le besoin d'égalité entre les sexes a conduit à rendre l'usage de pronoms genrés incongru, voire choquant (tout le monde dit "they" pour parler d'une autre personne); Mycroft, qui n'a pas l'habitude de distinguer les hommes et les femmes mais doit le faire dans son langage de la Renaissance, hésite sans arrêt et considère parfois les mêmes personnages comme masculin ou féminin en fonction des circonstances. Les nationalités sur base géographique, telles que nous les connaissons, n'ont plus cours ; chaque humain choisit son appartenance à l'une des six "hives" (ruches ? nations ?) qui se distinguent par leur identité propre (c'est d'ailleurs plus logique dans un monde où un système de transit hyper développé permet de se rendre n'importe où sur le globe en une heure ou deux maximum). Tous les humains possèdent un "tracker" qui les identifie, les localise en permanence, et leur permet de communiquer via une lentille dans l'oeil, tout ça pour le bien de tous (en tous cas, ça ne dérange pas grand-monde). La cellule familiale a été remplacée par le "bash", une communauté choisie. A la suite d'une guerre de religion affreuse, la religion est taboue, alors chaque personne doit avoir un "sensayer", un spécialiste du divin et de la philosophie qui l'aidera à trouver un sens à sa vie. Etc, etc.

Bref, on va plus loin ici dans la nouveauté qu'un changement de divisions politiques et quelques innovations techniques : c'est la société qui a changé, profondément, et avec elle la façon de penser et le vocabulaire. Le lecteur est plongé dedans sans bouée, sans explications qui viendront plus tard, et se retrouve à faire directement face à une intrigue politique qui se base sur ces prémices inconnues. En résumé : on est complètement paumés pendant un bon bout de temps.

Ceci dit, on sent bien que la situation n'est pas désespérée, alors on s'accroche. Et bientôt, on se rend compte que l'intrigue prend la forme d'une pièce de théâtre : Mycroft parcourt la planète sans y penser, mais au final toute l'intrigue se concentre dans deux ou trois lieux fermés et implique un nombre limité de personnes dont on saisit, petit à petit, les rôles. Ça simplifie la compréhension, en attendant que l'auteur nous raconte, par hasard et par morceaux, l'origine ou la raison de ce que l'on ne saisit pas. Cet aspect "huis-clos" est quand même très déroutant, car il n'y a aucune vue d'ensemble, peu de descriptions de lieu, juste de toutes petites scènes où la poésie et les impressions du narrateur l'emportent sur les faits. Le résultat est une atmosphère très spéciale, surtout pour de la science-fiction, qui souvent élargit le décor au lieu de le limiter.

Je viens d'écrire cette dernière phrase et je me dis que j'ai tort : ce livre élargit le décor aussi, à un point difficilement imaginable. Il contient tellement de questions, tellement de remises en cause, qu'il donne le tournis. Pour la première fois, j'ai l'impression de découvrir un futur où le monde a vraiment changé, pas seulement d'un point de vue technique, mais aussi éthique, moral, philosophique, social. C'est pour ça aussi qu'il est si complexe : on peut facilement s'adapter à un futur avec des voitures volantes et où on prépare un exode sur Mars (et il y a les deux ici aussi), mais un monde où la famille, le genre, la nationalité et la religion n'ont plus le même sens, ça, c'est beaucoup plus compliqué. Et comme si ça ne suffisait pas, ce monde est sur le point de perdre son équilibre à cause de questions morales (jusqu'à quel point peut-on manipuler, tricher et même tuer pour maintenir la paix ?) et à cause d'un nouveau venu très particulier qui lui aussi remet tout en cause, jusqu'à l'impossibilité d'un dieu vivant.

Une fois qu'on commence à saisir un peu mieux le fonctionnement de ce monde étrange, alors on peut se plonger dans le vrai mystère : le vol d'une liste prédisant les personnes les plus influentes du monde, et qui risque de chambouler l'équilibre entre les différentes nations. Mais aussi, le vrai rôle et l'histoire de Mycroft (un narrateur bavard mais tellement mystérieux), l'identité et la position d'un certain J.E.D.D. Mason, et la protection et le futur du jeune Bridger. 

Bon il va falloir que j'arrête un jour ou l'autre cette chronique qui pourrait n'avoir jamais de fin. En gros et en résumé : ce roman est difficile d'accès et il faut s'accrocher assez longtemps avant de vraiment saisir de quoi il s'agit. L'ambiance est particulière. Mais quelle richesse ! Quelle vision ! Chacun de ses aspects novateurs nous interroge profondément, remet en cause des définitions qui nous semblaient claires et des avancées sociales qui finalement pourraient ne pas être si positives que ca. C'est l'histoire d'un monde à la fois parfait et terrifiant. C'est un roman dont chaque facette pourrait faire l'objet d'un très long article. C'est aussi une intrigue qui ne se termine pas dans ce tome, et autant que vous soyiez prévenus : si vous aimez ce livre, vous serez obligés de vous procurer sa suite, Seven Surrenders...


Pour en savoir plus :
- l'avis de Blackwolf, qui n'a pas réussi à faire une chronique plus courte que la mienne  


1 commentaire:

  1. J'étais déjà motivée à lui donner sa chance à un moment ou à un autre mais j'avoue que la ça urge (mais après faut trouver le temps xD)

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