28 juillet 2010

Maus, d'Art Spiegelman

Je ne commente pas beaucoup de BDs sur ces pages, pour la bonne raison que j'en lis peu : elles sont difficiles à se procurer ici et puis je ne sais pas vraiment par où commencer pour découvrir de vraies perles.  Heureusement, j'ai des amis très précieux et aux goûts infaillibles qui m'ont gâtée pour mon anniversaire...  C'est ce qui m'a permis de découvrir celle-ci : "Maus".


Résumé :

"Maus", c'est une souris, en allemand. Le même allemand qui, sur les affiches pendant la période nazie, représentait les juifs comme des rats. L'auteur, Art Spiegelman, est le fils de déportés juifs polonais qui ont survécu à l'holocauste. Il tente de faire face à son sentiment de culpabilité d'avoir eu une vie tellement meilleure que ses parents en racontant leur histoire en dessins.  Le résultat, c'est un volume narrant en parallèle la lutte pour la survie d'un peuple traqué et les relations difficiles entre un fils et son père.


Mon avis :

Ne faites pas comme moi : n'entamez pas cette lecture au fond du lit avant de dormir.  Grands risques de cauchemars ou de déprime nocturne !  Sincèrement, je ne pensais pas pouvoir être aussi touchée sentimentalement par une bande dessinée.

L'auteur "déshumanise" pourtant légèrement ses personnages en leur donnant le visage d'animaux en fonction de leur nationalité, avec comme héros les souris (les Juifs) et les chats (les Allemands). Mais ça ne rend l'ensemble que plus effrayant, car (à mes yeux en tous cas) il en vient à universaliser le problème : l'horreur n'a plus de visage, elle pourrait se réincarner.  Et puis sous le crayon de Spiegelman, les souris sont particulièrement émouvantes et les chats terriblement effrayants.

L'histoire narrée est sans concessions.  Les aventures des parents de Maus durant l'holocauste, d'abord. Elles sont relatées par le père de l'auteur, au gré de ses souvenirs, avec parfois des retours en arrière quand il a oublié de dire quelque chose, ou l'introduction d'éléments concernant les survivants ou les disparus qui détruisent le suspense.  Mais on n'a pas besoin de ça : l'intrigue est connue, c'est la façon dont c'est raconté qui en vaut la peine.  Pas de concessions non plus concernant les détails les plus sordides de la vie avant ou dans les camps. Pas de tentative d'enjoliver l'histoire les victimes ou de rendre les bourreaux plus détestables.  Les faits suffisent, et les faibles sont parfois les plus cruels.  Dès les premières planches introductives, le ton est donné, quand le père dit à son fils encore enfant : "Des amis ?  Tes amis ?  Enfermez-vous tous une semaine dans une seule pièce sans rien à manger...  Alors, tu verras ce que c'est, les amis !"

Pas de concessions non plus concernant le deuxième aspect de la narration, la relation entre le père et le fils. L'originalité ici est de raconter non pas l'histoire d'un couple de survivants, mais l'histoire d'un père racontant à son fils comment il a survécu. Et cette mise en situation va très loin, apportant de nouvelles facettes à l'histoire archi-connue des persécutions nazies.  On y découvre les séquelles de cette expérience effroyable chez celui qui l'a subie, ainsi que le sentiment de culpabilité de la génération suivante.  Mais si le père est un héros qui s'est battu comme un lion pour traverser les pires épreuves avec celle qu'il aime, il est devenu depuis un vieillard grincheux et avare que son fils dépeint aussi avec finesse. 

Point de vue dessin, je ne suis pas une spécialiste de la bande dessinée, ni même une très bonne lectrice : je lis trop vite et manque les détails, ce qui fait que je me perds dès qu'un dessin est même légèrement complexe. Je craignais donc que le noir et blanc de ces images me rende plus difficile leur déchiffrement, et que les visages en forme de têtes d'animaux me complique la distinction entre les personnages.  Pourtant, rien de tel.  L'une et l'autre caractéristiques créent surtout une impression de document historique et je ne me suis perdue à aucun moment. Peut-être ai-je été plus attentive aussi, tant j'étais impressionnée par le contenu de l'histoire.

La seule petite critique que je pourrais faire c'est le manque d'information quant au sort de la maman.  On sait dès le début qu'elle s'est suicidée après la guerre, mais on ignore ce qui l'y a poussée, et je pense que ça aurait pu être une partie touchante du témoignage.  Mais c'est peut-être trop en demander à un auteur qui a déjà tant puisé dans ses ressources émotionnelles pour raconter une histoire si vraie.

Bref, et pour résumer : lisez-le.  Ce témoignage aux multiples facettes est tout simplement magnifique, extrêmement touchant et sincère.  Il mérite largement le prix Pulitzer qu'il a reçu et figure parmi les meilleurs récits possibles de l'holocauste. Un ouvrage qui restera à l'avant de ma bibliothèque.

Je me permets enfin de vous mettre une planche en aperçu...



Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- la magnifique critique de Nelfe, pour qui il FAUT lire cette BD
- la page wikipédia sur cette oeuvre.

10 commentaires:

  1. Oui, une BD, mais Maus c'est vraiment le top de la BD (la seule à avoir obtenu ce prix, d'ailleurs) . Je pense la relire un de ces jours.
    Sur mon blog je parle rarement de BD, je ne suis pas trop spécialiste, alors que j'en lis, mais bon pour Maus c'est au dessus du lot.
    Si tu cherches de bonnes BD, tu as aussi Là où vont nos pères de Shaun Tan ou Rides de Roca, qui évoquent des thèmes "sérieux".

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  2. Merci pour ces conseils, Keisha, je vais les noter. Mais je n'ai pas trouvé ton avis sur cette BD sur ton blog... Si tu le relis, j'attends ta chronique avec impatience !

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  3. Je plussoie les conseils de Keisha. ^^

    Bien vu pour la déshumanisation. C'est un procédé dont l'auteur parle Scott McCouddans L'Art Invisible : s'éloigner du réalisme tend à rendre une scène universelle et permet au lecteur de mieux se l'approprier avec son histoire personnelle. Ce qui connecte mieux émotionnellement.

    Pour la mère je ne me souviens pas avoir été frustrée par un manque d'information, mais l'ayant lue il y a plus de deux ans j'ai du mal à me souvenir des détails ^^

    Enfin, cette BD mérite bien son Prix Pulitzer, tant pour son reportage émouvant sur cette période de l'histoire que pour cette vision juste des rapports père/fils. :)

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  4. Mon prof d'histoire en avait parlé lors de son cours sur la Seconde Guerre Mondiale (ça date de mes années lycée) et je me suis toujours dit qu'il fallait que je le lise. Maintenant, je vais le noter en gros sur mon carnet ^^

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  5. Drolement contente que cette BD t'aies plus ! Elle est tres superieure a ce que l'on peut trouver d'habitude. Je me souviens avoir ete, comme toi, tres emue (voire deshydratee) a sa lecture. Je ne savais meme pas que Spiegelman avait eu le Pulitzer...

    Quant a la maman souris, comme Lelf, je ne me souviens pas d'avoir ete frustree, j'ai du simplement accepter que les evenements l'avaient poussee a se suicider...

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  6. Je lis énormément de BD dite "pour adulte", et Maus restera toujours dans les meilleures BD jamais lues. Il y en a beaucoup d'autres qui traitent de thèmes d'actualité et qui sont rendues comme des récits journalistiques. Je pense en particulier à Joe Sacco, qui a écrit Palestine et Gorazde. D'ailleurs, j'avais établi le parallèle entre les trois sur mon blogue... !
    http://lecturesdicietdailleurs.blogspot.com/2010/03/jo-sacco-bis.html
    Il y a d'immenses découvertes à faire dans le neuvième art ! Et une fois qu'on y plonge, on ne peut pas toujours s'arrêter...

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  7. Toujours pas lu Spiegelman, pourtant le père du roman graphique. Il faut que je m'y mette. Je crois que ce sont ses dessins qui me rebutent.

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  8. Cette BD fait partie de la liste de ce qu'il faut que je me procure absolument.

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  9. Cette BD est vraiment bouleversante, surtout le tome 2 je trouve...
    J'aime beaucoup le fait qu'il ne se contente pas de parler uniquement de la guerre mais parle aussi de l'après guerre et de la façon dont son père est marqué à vie. C'est quelque chose que je vois rarement.

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  10. Oh c'est gentil de qualifier ma critique de "magnifique". Je vais rougir...
    Mais je maintiens: il FAUT le lire! ^^

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