Je ne sais pas ce qu'il s'est passé aujourd'hui, mais depuis ce matin, je croise partout un type de commentaires pleins d'arrogance qui me hérisse le poil et que je retrouve régulièrement sous plusieurs forme : l'élitisme littéraire. L'idée de base est toujours la même : il y a les "vrais" lecteurs, et puis ceux qui ne méritent pas ce titre, parce qu'ils ne lisent pas "ce qu'il faut".
Evidemment, les catégories varient en fonction du contexte. Il y a ceux pour qui les seuls livres qui valent la peine d'être lus sont ceux qui font profondément réfléchir, qui remettent en cause les certitudes, une idée bien résumée par Franz Kafka : « Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? ». Il y a les anti-ebooks pour qui la seule véritable littérature ne peut se trouver que sur du bon vieux papier et que "les lecteurs sérieux préféreront toujours les éditions imprimées" (ça, c'est Jonathan Franzen qui le dit). Il y a ceux pour qui il y a les vrais lecteurs qui choisissent leurs lectures en toute indépendance, et les "moutons" qui ne lisent que les best-sellers. Il y a ceux qui pensent que certains genres littéraires sont de La Littérature, et d'autre pas : littérature jeunesse, science-fiction, littérature érotique, bande-dessinée ou mangas, suivant les cas. Et puis il y a ceux qui pensent qu'un "vrai" lecteur se doit de s'extasier face aux "grands" auteurs classiques : Hugo, Proust, Zola, et les autres Incritiquables. Le Club des Vrais Lecteurs a des règles d'admission qui varient selon le portier.
Tout ça me fatigue profondément, et pas du tout parce que je me sens personnellement critiquée ; honnêtement, je ne partage aucun de ces préjugés, je continuerai à lire ce qui me plaira quand ça me plaira et je n'aurai jamais honte d'en discuter publiquement (notamment sur ce blog). Mais au nom de tous les lecteurs débutants ou futurs moins assurés dans leurs goûts que je ne le suis, ça m'énerve que l'on fasse de la lecture une activité élitiste qui est honteuse quand elle n'est pas exercée selon les règles. On ne se pose pas la question concernant le cinéma, par exemple ; ceux qui vont voir un blockbuster américain ou le dernier film que tout le monde a vu ne sont jamais critiqués, aucun genre n'est considéré moins bien que d'autres, un film particulièrement mauvais fait rire plus qu'il n'énerve, et surtout, surtout, on a le droit d'avouer qu'on regarde un film uniquement pour se détendre, pas pour réfléchir - et ça, c'est souvent considéré comme une hérésie quand on parle d'un livre !
L'autre jour, une discussion intéressante a eu lieu sur le forum de Livraddict, ainsi que sur Facebook et Twitter, à partir de la question : quel livre vous a fait aimer la lecture ? J'ai été épatée de la variété des réponses : Harry Potter, Le Club des Cinq ou Roald Dahl, bien sûr, mais aussi la collection Arlequin, Zola, Les Trois Mousquetaires, Le Hobbit... Les voies qui mènent à la lecture semblent impénétrables. Si quelqu'un avait dit à ces lecteurs "tu n'as pas honte de lire des enfantillages pareils ?", il est fort possible que la découverte se soit arrêtée là et qu'un lecteur en puissance soit retourné devant la télévision.
Je comprends en partie certains "élitistes" : quand je vois quelqu'un enfermé dans un certain genre littéraire, j'ai envie de lui dire "tu devrais découvrir tel ou tel livre, tu verras, ça pourrait t'ouvrir tout un monde ou te faire profondément réfléchir", et parfois je le dis. Je comprends aussi qu'on se désole d'un certain apauvrissement des publications lorsque de nouveaux romans sont écrits "sur modèle" dans un but purement commercial (quoi que, quand je vois le nombre de sorties chaque année, j'ai quelques doutes sur la réalité de cet "apauvrissement"). Mais personne n'a le droit de dire à son voisin plongé dans un livre : "tu n'es pas un vrai lecteur, va te cacher". Quelles que soient ses raisons et ses lectures, une personne qui lit se crée au minimum un moment de plaisir personnel, et ça, c'est un bonheur que tout le monde, sans exception, mérite de connaître.
Merci pour cette prise de position ! Je suis tout à fait d'accord avec toi [même si, parfois, je ne peux m'empêcher de railler certains auteurs... mais jamais les lecteurs, promis!].
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai fait des études "de lettres". J'ai donc dû en lire des auteurs classiques, analyser des textes, etc. Ça ne m'empêche pas de prendre du plaisir et de me détendre en lisant des romans plus "faciles". Parce que la lecture doit rester un plaisir et non pas une obligation sociale !
Et puis franchement, pourquoi critiquer les lecteurs ?! Que l'on aime ou non ce qu'ils lisent. Au moins, ils le font et peut-être qu'en commençant par des œuvres moins "littéraires", ils découvriront qu'ils peuvent arriver au bout d'un livre et ensuite, s'ouvrir vers d'autres genres. Et même s'ils restent cantonnés à un seul genre, c'est leur droit et ça n'en fait pas pour autant des "sous-lecteurs" !
Tout à fait d'accord, chacun lit ce qu'il veut, c'est personnel de toute façon sa relation avec un livre. On n'aura jamais exactement le même ressenti qu'un autre, même si ça peut se rejoindre très fort.
RépondreSupprimerEt, sinon ça m'arrive de taquiner les gens qui aiment des livres que j'ai pas aimé, mais ça m'empêche pas d'adorer ces personnes. Tous les goûts sont dans la nature ^^
Mais dire qu'il n'y a qu'un genre acceptable à lire, je trouve ça ennuyeux ... ça m'ennuierait et je m'ennuierais à un moment de lire toujours le même genre. La vie est parfois bien chiante à elle toute seule .., alors pourquoi s'embêter dans son loisir? Autant se faire plaisir comme on veut.
Je ne sais pas où tu as suivi tout ca, mais j'ai rien vu de mon côté ... mais j'espère que tu vas mieux maintenant :)
@Maghily : c'est exactement ce que je pense, et je suis contente que quelqu'un qui a fait des études de lettres, et qui doit justement avoir des goûts très exigeants dans ce domaine, soit d'accord avec moi. Merci !
RépondreSupprimer@Thalia : ce sont des petites choses ici et là qui m'ont donné cette impression, pas de grosses discussions... et je n'allais pas mal, je te rassure, mais j'avais envie de donner un peu mon avis là-dessus pour éventuellement obtenir des réactions :)
Bien dit !
RépondreSupprimerMERCI ! Le droit de lire n'importe quoi fait partie des droits imprescriptibles du lecteur selon Daniel Pennac, qu'on pourrit accroche aux murs des bibliothèques, des librairies, mais aussi des métros, des bus, des parcs, de tous les endroits où on lit.
RépondreSupprimerDébat intéressant! Je fais un doctorant en études littéraires françaises et il ne me viendrait pas à l'esprit de critiquer les lecteurs. Je suis très heureuse de voir des gens apprécier la lecture et de pouvoir discuter de livres avec eux, même si on n'est pas toujours d'accord. J'ai d'ailleurs apprécié la plupart des textes que tu cites (à part la collection Harlequin que je ne connais que de nom et au sujet de laquelle j'ai quelques aprioris, je l'avoue).
RépondreSupprimerChacun est bien libre de lire ce qu'il veut. Pour ma part, je n'y connais pas grand-chose en architecture, par exemple, et m'extasie sûrement devant des choses qu'un spécialiste trouverait peu intéressantes. Tant pis, le jugement esthétique est subjectif. Bien sûr, on acquiert petit à petit plus de connaissances, d'expériences, on repère les procédés, on s'y habitue peut-être et souhaite élargir ses lectures ou au contraire découvrir d'autres auteurs qui manipule ces thèmes ou procédés différemment. La lecture et l'amour de la littérature naissent à mon avis du plaisir, voilà pourquoi je ne rabrouerai jamais qqn qui lit qqch que je n'estime pas, cela risquerait de le priver de cette magnifique activité qu'est la lecture et de l'éloigner des auteurs que je juge intéressants (car oui, je suis élitiste et le revendique : je trouve que certains auteurs sont meilleurs - et de loin- que d'autres. Mais mon jugement est large : je rangerais la plupart des volumes d'Harry Potter parmi les bons livres, par exemple).
Par contre, je critique souvent les auteurs et les maisons d'édition. Certains se contentent de reproduire des recettes, de poursuivre des buts commerciaux, de sous-estimer les lecteurs. Ils éclipsent des auteurs plus intéressants ou des genres plus difficiles à diffuser (voyez l'état de la publication de la poésie aujourd'hui). Pour moi, il y a une différence fondamentale entre Marc Lévy et Cie (qui selon moi appliquent des recettes commerciales) et des oeuvres qui, pour faire bref, travaillent la langue, en font ressortir le pouvoir et l'ambivalence intrinsèques, s'approprient des questions anthropologiques, suscitent l'émotion, font réfléchir, etc. Les gens sont libres d'apprécier ces textes et je suis libre d'exprimer mon jugement au sujet de ces romans. Je ne critique pas mes amis qui lisent Marc Lévy (je ne juge pas sans savoir, j'en ai emprunté deux à ma soeur pour me faire une idée de ses textes)... mais j'essaie de leur proposer d'autres lectures : il y a aujourd'hui beaucoup d'auteurs qui ne sont pas hermétiques, qui sont tout à fait accessibles (Carrère, Ernaux, Malinconi, etc.) mais qui n'ont pas pour autant renoncé à concevoir que la littérature est l'art du langage et qu'elle a la possibilité d'élargir notre vie. Cela paraît grandiloquent mais je suis convaincue par le pouvoir de la littérature, je n'oublierai jamais que je me suis mariée en partie grâce à une lecture récente (et un peu grâce au mari, il faut l'admettre ;-) Je connais pas mal de gens qui éprouvent le même sentiment mais ne me sens pas autorisée à raconter leurs histoires privées sur Internet.
Ancienne étudiante en lettres mais aussi enseignante, j'avoue avoir des débats parfois animés avec des personnes ayant fait les mêmes études que moi et choisissant d'étudier avec leurs élèves du secondaire des textes de Lévy ou Pancol. J'ai l'impression que les élèves tomberont facilement sur ce type de livres par eux-mêmes et que le rôle de l'enseignant est plutôt de leur proposer qqch qu'ils ne connaissent justement pas ou n'oseraient pas lire seuls, de les ouvrir à d'autres lectures et de les accompagner, guider, aider dans ces lectures peut-être plus difficiles.
Bon, j'aurais encore beaucoup à dire, une petite anecdote d'élitisme mal placé à raconter, mais j'ai déjà écrit un pavé (un peu désordonné, en plus).
Je reviendrai probablement discuter de ce sujet! A bientôt!
Manon
Serait-ce la Manon que je connais ? Ca ne m'étonnerait pas, car je suis tout à fait d'accord avec elle, comme souvent :)
RépondreSupprimerJ'ai essayé de faire un article court, les seuls efficaces sur internet, et du coup il a perdu un peu en nuances. J'aurais pu mieux définir l'élitisme : il s'agit pour moi de condamner d'un coup toute une catégorie de lecteurs/lectures, en émettant implicitement le souhait de les voir complètement disparaître. Ca a l'air un peu violent, comme ça, mais c'est ce qui ressort de discussions ou d'articles que j'ai vraiment croisés (voire notamment les liens dans le texte). Encore récemment, je suis tombée sur un article en anglais d'une auteure qui suppliait J.K. Rowlings d'arrêter d'écrire des livres pour adultes, parce qu'il était temps qu'elle laisse la place (et les ressources de l'édition) aux autres. Par contre elle pouvait bien continuer à écrire de la jeunesse, sous-entendu que de toutes façons les "vrais auteurs" ne sont pas en compétition là-dessus... http://www.huffingtonpost.co.uk/lynn-shepherd/jk-rowling-should-stop-writing_b_4829648.html
On n'a pas le droit de dire qu'on n'a pas aimé Zola, on n'a pas le droit de dire qu'on se fait plaisir en lisant de la littérature jeunesse ou des BDs (ça moins en Belgique, mais ici en Finlande je passe pour une attardée), on n'a pas le droit de choisir un livre parce qu'il a été lu et apprécié par beaucoup d'autres,... C'est contre ça que je m'insurge, contre le fait qu'on se moque de certains genres/catégories de lecteurs/façons de lire dans leur ensemble, et qu'on souhaite leur disparition.
Par contre je suis tout à fait d'accord qu'il y a, objectivement, de bons et de mauvais livres, comme il y a de bons et de mauvais films. Par exemple, puisque tu ne connais pas les collections Harlequin, je dois dire que moi non plus (je déteste les histoires romantiques) ; tout ce que j'en sais c'est que les livres sont écrits en suivant un scénario pré-défini et payés à l'auteur au mot. Autrement dit, ça ne peut être que toujours la même histoire, avec juste les détails qui changent. Mais j'ai appris récemment que pour les films "blockbusters" américains, il existe aussi un livre sur "comment écrire un scénario", avec des étapes pré-définies à recréer suivant les contextes, qui est généralement suivi. Je m'en doutais un peu, la "recette" se sent au bout d'un moment. Et pourtant, je continue à regarder des films comme ça, parce que ce sont des divertissements, rien de plus. Il y a aussi du plaisir à se laisser emporter par une histoire qui ne demande pas de réflexion et qui ne risque pas de me secouer les émotions. Et c'est pour ça que je ne me permets pas de juger les gens qui lisent des Harlequins, si ça leur permet de se faire un peu plaisir.
Ceci dit, la personne qui se limite à ça rate beaucoup, beaucoup de choses, et donc ça ne m'empêche pas non plus, comme je l'ai dit dans l'article, d'essayer de leur faire découvrir autre chose qui puisse leur plaire et en même temps leur apporter un petit peu plus que ça. Et je suis tout à fait d'accord que l'école doit être justement l'endroit où on force les élèves à sortir de leur zone de confort et à découvrir des choses qu'ils n'auraient pas découvertes d'eux-même, tout en les guidant pour les aider à en voir la richesse. Sinon, qui le fera ? Pancol, Levy et les autres n'ont pas besoin d'un enseignant pour accompagner dans la lecture... A part peut-être pour surmonter la peur d'ouvrir la première page !
(et je viens de m'apercevoir qu'il y a une limite de caractère aux commentaires, alors je continue ici)
RépondreSupprimerJ'ajoute aussi que préférer un genre / un auteur / un style / un type de lecture... etc... à un autre n'est pas de l'élitisme ; c'est inévitable. Il y a même des livres dont je dis "je ne sais pas comment quelqu'un a pu aimer ça, expliquez-moi..." et je suis vraiment curieuse qu'on me l'explique. Il y a des tas de romans dont on sait qu'ils sont écrits pour satisfaire un public, qui font partie d'une mode avec des critères très définis, qui n'apportent aucune originalité. L'élitisme, c'est de traiter leurs lecteurs d'imbéciles parce qu'ils cherchent le plaisir facile, ou de souhaiter que ces genres-là disparaissent. J'ai quand même l'impression qu'il y a assez de très bons romans qui sortent chaque année et qui sont sortis par le passé que pour pouvoir s'offrir une vie de bonnes lectures, même en étant très exigeant !