Pour le challenge "Un genre par mois", je me devais de lire une nouvelle ce mois-ci. Je me suis inspirée de celle lue par une autre participante et je dois dire que j'ai commencé très fort avec un récit très particulier...
"Un écrivain désabusé voyage en Floride avec une femme beaucoup plus
jeune que lui : ils vont au restaurant, boivent un verre, parlent de la
guerre d'Espagne, de leur vie, d'avenir et font l'amour... Soudain tout
se trouble, le soupçon de l'inceste rôde, les difficultés à écrire et à
vivre resurgissent et, avec elles, l'inexorable fatalité. Réflexion sur
l'écriture et l'amour, ce court roman rassemble toutes les obsessions
d'un des géants de la littérature américaine."
(Quatrième de couverture)
Mon avis :
Vous l'aurez remarqué, vous qui fréquentez ce blog : généralement, je rédige mes résumés moi-même. Or, cette fois-ci j'ai laissé la parole à la quatrième de couverture et rien que ce fait vous dit l'essentiel de mon ressenti à la fin de cette lecture : je n'ai pas vraiment compris l'intrigue et je m'interroge toujours sur le contenu et le but de ce récit.
Il faut dire pour commencer que je ne connais pas du tout Ernest Hemingway. J'ai un jour commencé "Le vieil homme et la mer" et, je ne sais pour quelle raison, je ne l'ai pas terminé. J'ai décidé de lire cette nouvelle à l'occasion du challenge "Un genre par mois" en me disant que ce serait l'occasion de rentrer dans l'univers du grand écrivain. En anglais, cette nouvelle se situe à la fin d'un recueil, je pense que contrairement à la version française elle n'a pas été éditée séparément. Ce n'est qu'en commençant ma lecture que j'ai appris que cette nouvelle n'était en fait pas destinée à en devenir une ; c'est un petit texte inachevé, extrait d'un autre récit qui finalement a pris une orientation différente, et publié seulement à titre posthume. Mais l'introduction m'assurait aussi que ce texte restait intéressant par lui-même.
Je suis désolée de devoir contredire le vénérable éditeur de ce recueil, mais je ne suis pas d'accord avec lui. C'est un texte qu'il est difficile d'apprécier par lui-même. Il est fort possible qu'il soit très révélateur pour les lecteurs familiers avec l'oeuvre d'Hemingway (si, comme le dit la quatrième de couverture française, il "rassemble toutes les obsessions d'un des géants de la littérature américaine"). Mais pour moi qui n'y connais rien, je n'ai vu qu'un morceau d'histoire sans début ni fin, très perturbant (et peut-être intéressant à ce titre-là).
L'histoire raconte en fait une sorte de road trip. Un homme, une femme bien plus jeune, quittent Miami en voiture pour une destination inconnue. Le peu qu'on apprend d'eux est perturbant : l'homme est un écrivain, bien plus âgé que la jeune femme, avec une (ou plusieurs) famille(s) antérieure(s). Elle est amoureuse de lui depuis longtemps, ils sont (ou deviennent au tout début) amants, mais lui ne semble tomber amoureux d'elle qu'au cours du trajet (elle en est très consciente) et en cours de route ils mentent sur leur relation en se faisant passer pour père et fille auprès de certaines personnes qu'ils croisent, pour un couple marié auprès d'autres personnes. Il la surnomme "daughter", fille, ce qui est plutôt dérangeant, mais il est très tendre envers elle. Il devient évident que l'homme est assez perturbé par son passé, capable de pensées très négatives, et très concerné par la guerre civile espagnole qui est en cours. Autour d'un verre d'absinthe, il finit par se confier à sa compagne et lui raconte un évènement perturbant de sa jeunesse, quand il a perdu ses premiers manuscrits.
Et puis c'est tout ; en gros la jeune femme demande "et qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ?"... et l'histoire s'arrête là.
Je pense que vous pouvez comprendre ma frustration. Toute l'histoire est construite sans aucune explication ; on plonge sans préparation dans la vie d'un couple, on découvre leurs gestes, leurs paroles et une petite partie de leurs pensées (ses pensées à lui uniquement), et tout est si nébuleux qu'en tant que lecteur on peut s'imaginer le pire (l'inceste ?) comme le meilleur (un couple qui surmonte les difficultés du passé). Leur relation est à la fois belle par leur tendresse, cette impression qu'ils vivent dans une petite bulle de bonheur qui ne durera pas, et moche par les ombres qui rodent, l'impression que la femme est un peu trop tolérante, que l'homme ment un tout petit peu trop. Alors forcément, j'ai enfilé les pages en attendant une sorte de révélation ; pas nécessairement une explication claire et détaillée sur l'origine ou la finalité de leur relation, mais un petit bout de réponse, un poil d'explication, une miette de morale (par exemple : on peut s'aimer sans vraiment se connaître, on peut s'aimer sans que les autres ne comprennent, on peut s'aimer sans savoir ce qui nous attend,...). Quelque chose, n'importe quoi, qui donne du sens à ce texte, qui permette de rendre ce petit bout de vie moins étrange, plus universel. Mais non, rien.
J'essaie d'être objective au-delà de la frustration et en soi, le fait qu'il n'y ait pas de réponse donne à cette histoire un intérêt particulier. On se sent un peu voyeur, en tant que lecteur ; comme si on suivait après coup une conversation qui ne nous était pas destinée. On peut imaginer n'importe quoi et ce genre de récit permet finalement de se découvrir soi-même en tant que personne : pourquoi est-ce que je trouve leur relation perturbante ? A cause de la différence d'âge ? De la soumission de la jeune femme ? De l'honnêteté de l'homme, qui admet (au lecteur) sans honte ses mensonges ? Ou peut-être est-ce leur absence de projets concrets qui m'inquiète ? Pourquoi ?
Un autre aspect intéressant c'est le style particulier. Beaucoup de dialogues sans indication de ton, beaucoup de détails dans les faits bruts, un point de vue qui semble a priori détaché mais qui en réalité ne nous parle que de l'homme. L'auteur semble laisser au lecteur une grande liberté pour mettre en scène les dialogues et pour imaginer le contexte, mais en réalité il nous oriente fortement et subtilement. Il nous oblige délibérément à douter de tout, il crée une ambiance assez glauque sans avoir l'air d'y toucher, et je ne saurais en fait pas expliquer précisément comment il fait.
Bref, c'est très perturbant, très frustrant et en même temps très intéressant - beaucoup d'adjectifs pour un si petit récit. J'ai été très heureuse de le découvrir, mais il continue à me déranger ; j'ai toujours l'impression d'avoir raté quelque chose, ou mal compris, ou que cette courte histoire mériterait une analyse bien plus poussée que la mienne. Au final j'aime bien ce genre d'impression, j'aime aller au-delà du divertissement. C'est le genre de récit qui me reste en tête longtemps après l'avoir lu.
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Il me semble avoir lu des Hemingway dans ma jeunesse, L'adieu aux armes et Pour qui sonne le glas (Pour qui sonne le glas, sûr car je l'ai dans ma bibli) et peut-être le soleil se lève aussi. Mais comme il y a eu des films tirés de ces romans, je ne sais plus trop si ce sont les films ou les livres que je connais ! :) Je ne connaissais pas cette nouvelle mais je trouve que malgré ta frustration tu en parles très bien.
RépondreSupprimerJe suis bien d'accord avec toi ! J'ai eu l'impression de ramer tout du long...
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