J'ai beaucoup lu et peu chroniqué ces dernières semaines, ce qui m'oblige à publier mi-avril ma chronique du mois de mars pour le défi "un genre par mois". La voici enfin, ma première pièce de théâtre lue depuis très longtemps, sur un texte classique, que beaucoup vénèrent, et qui m'a profondément énervée...
Résumé :
Antigone, la fille d'Oedipe, doit mourir. Elle a choisi d'enterrer son frère Polynice, malgré l'interdiction de son oncle, le roi Créon, et elle doit être punie conformément à la loi. C'est son destin, elle en est persuadée : malgré l'exemple de lâcheté de sa soeur, malgré l'amour de son cousin et fiancé, malgré même Créon qui fera tout pour la sauver, Antigone doit mourir.
Mon avis :
Le mois de mars était le mois du théâtre et des classiques pour le challenge "Un genre par mois". Comme j'ai déjà lu pas mal de classiques mais quasiment aucune pièce de théâtre, je me suis dit que c'était l'occasion de tenter l'expérience. Mais j'étais bien embêtée au moment de choisir une pièce, vu que je n'y connais rien. J'ai donc fait une petite recherche sur google "meilleure pièce de théâtre" et le titre qui revenait le plus souvent est un de ceux dont j'avais déjà entendu parler : le fameux Antigone d'Anouilh. J'avais, dans ma jeunesse, beaucoup aimé son "Becket ou l'Honneur de Dieu" et je me suis dit que c'était la pièce idéale pour renouer avec le théâtre.
Dès le début j'ai retrouvé le plaisir que j'avais ressenti en lisant "Becket" : la plume magnifique de l'auteur. Il a cette façon d'écrire comme on parle, avec beaucoup de naturel, et en même temps d'aligner ces phrases qu'on a envie de retenir pour les replacer. Il parle de sentiments, de passion, de destin mais ce n'est jamais pompeux, c'est toujours étonnamment terre-à-terre. Il se permet même, dans cette pièce tellement dramatique, d'ajouter quelques touches comiques, comme l'intervention des soldats. Cette pièce qui date de 1944 n'a pas pris une ride, ni dans le fond (déjà lui-même basé sur une histoire qui a 2500 ans d'âge...), ni dans la forme. Et le fait que ce soit écrit sous forme de pièce de théâtre, ce qui laisse le soin au lecteur d'imaginer le ton, les décors et les sentiments, n'a absolument pas été un problème pour moi : le résultat donne une impression de dépouillement qui oblige à se concentrer sur les personnages, le coeur du texte.
Ceci dit, je crois que c'est le livre qui m'a le plus énervée depuis longtemps. J'ai un peu honte de l'avouer, tant cette pièce fait partie des grands textes francophones, mais dès le début j'ai eu envie de mettre des claques à tous les personnages, en commençant par Antigone. Ca a commencé dès le prologue, au moment où on nous présente le contexte qui sera à l'origine du comportement d'Antigone :
Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire. Elle commence au moment où les deux fils d'Œdipe, Étéocle et Polynice, qui devaient régner sur Thèbes un an chacun à tour de rôle, se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville, Étéocle l'aîné, au terme de la première année de pouvoir, ayant refusé de céder la place à son frère. Sept grands princes étrangers que Polynice avait gagnés à sa cause ont été défaits devant les sept portes de Thèbes. Maintenant la ville est sauvée, les deux frères ennemis sont morts et Créon, le roi, a ordonné qu'à Étéocle, le bon frère, il serait fait d'imposantes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le révolté, le voyou, serait laissé sans pleurs et sans sépulture, la proie des corbeaux et des chacals.. Quiconque osera lui rendre les devoirs funèbres sera impitoyablement puni de mort.
Je suis déjà outrée. Pourquoi considérer qu'Etéocle est le bon frère alors que c'est celui qui a violé le marché, et Polynice le mauvais frère parce qu'il a essayé de faire valoir son droit par la force ? J'espérais que ce gros problème logique serait éclairci plus tard dans le texte, mais non, ce ne sera pas le cas.
Ensuite entre Antigone, qui a décidé d'enterrer Polynice contre les ordres de son oncle, tout en sachant que ça la condamne à mort. Elle pouvait avoir des tas de raisons d'agir ainsi : parce qu'elle n'est pas d'accord avec la décision illogique de son oncle, comme moi ; parce qu'elle considère que c'est important pour l'âme ou pour l'honneur de son frère ; parce qu'elle veut exposer au peuple à quel point son oncle est un barbare qui n'hésitera pas à la mettre à mort, elle, sa nièce et la fiancée de son fils... Sauf qu'au cours du texte, toutes ces raisons sont rejetées clairement et définitivement les unes après les autres. Créon apparaît comme un oncle gentil, comme un tyran par obligation, un roi qui n'a pas demandé son trône et porte sa couronne parce qu'il faut bien que quelqu'un maintienne la paix. Tandis qu'Antigone... impossible de la comprendre. Elle ne donne aucune raison à son geste, elle semble être d'accord qu'il n'a aucun sens, et en plus elle refuse de faire quoi que ce soit pour que son oncle n'ait pas à la tuer. En fait, tout ce qu'elle fait c'est se suicider par l'intermédiaire de Créon. Je ne vois pas d'autre explication. Alors au fur et à mesure qu'elle parlait, qu'elle refusait de répondre aux arguments très sensés de son oncle, elle me paraissait de plus en plus comme une adolescente bornée dans son rêve dramatique, égoïste et cruelle. En un mot : insupportable.
En plus de ça, je n'ai pas non plus compris Créon : il suffisait qu'il enferme sa nièce quelque part pendant quelques jours, et il n'avait plus à la mettre à mort. Je peux comprendre qu'il la laisse faire ses propres choix, décider de son destin (ce mot-là est au centre de toute la pièce)... mais il ne prononce pas ces mots-là, il semble plutôt la faire mourir entièrement à contre-coeur, sans même envisager la possibilité d'user de son pouvoir qu'elle lui reproche tant.
Bien sûr, je vois le parallèle avec la collaboration allemande qui avait lieu au moment où la pièce a été jouée pour la première fois ; je vois bien la critique de l'autorité tyrannique, même dans les mains du tyran qui ne veut que le bien du peuple et qui souffre de son pouvoir. Mais je ne comprends pas la logique. Cette pièce parle sans cesse de destin, d'une situation inévitable qui se met en place dès les premières pages, de quelque chose de plus grand que les personnages qui les obligerait à agir comme ils le font, comme des marionnettes. Mais je ne le vois pas, ça. Je vois exactement le contraire : des personnages qui ont tous les choix, toutes les possibilités, et qui à chaque ligne prennent la décision d'agir de la pire façon possible, se battant contre une fin heureuse vers laquelle tout semble les diriger. C'est en quelque sorte du drame sur base purement volontaire. Cette absurdité m'a donné envie de balancer ce livre contre les murs !
Bref, je suis loin de regretter cette lecture, d'autant plus que le style est du pur plaisir... mais j'en sors avec l'impression d'avoir vraiment loupé quelque chose. Suis-je trop terre-à-terre ? Suis-je la seule à avoir trouvé les actions de ces personnages tellement illogiques que c'en est dérangeant ? J'aimerais savoir !
Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- acheter ce livre sur Amazon
Mais le grand classique, ce ne serait pas plutôt Antigone de Sophocle ? Je n'ai jamais entendu de l'autre. Ce ne serait pas récent l'intérêt pour cette version-là ?
RépondreSupprimerCelle de Sophocle est aussi un classique bien sûr, mais l'Antigone d'Anouilh a eu énormément de succès dès le départ, et reste parmi les textes scolaires et les textes les plus appréciés de nos jours. J'en avais déjà entendu parler bien sûr mais j'ai fini par choisir cette lecture à force de la retrouver en première place de classements des meilleures pièces de théâtre francophones. La preuve qu'elle a été appréciée dès sa sortie : une version anglaise a été jouée dès 1949, produite par Laurence Olivier, avec Vivien Leigh dans le rôle d'Antigone : https://en.wikipedia.org/wiki/Antigone_%28Anouilh_play%29
RépondreSupprimerAntigone d'Anouilh est une réécriture, lorsque je l'ai lu aucun élément ne m'a choqué. Il faut faire le parallèle entre le mythe de Sophocle et le contexte dans lequel Anouilh écrit.
RépondreSupprimer"Antigone" d'Anouilh est une de mes pièces préférées ! Je pense que tout au long de la lecture, il faut garder en mémoire le contexte politique dans lequel elle a été écrite. Personnellement, j'aime beaucoup le personnage d'Antigone, et je déteste Créon. Et je suis d'accord avec toi, il y a une certaine injustice à voir Polynice comme le "mauvais" frère, face à Etéocle.
RépondreSupprimerBref, maintenant que tu as lu "Antigone", je te conseille "Médée" d'Anouilh, une super réécriture également. :) xx
Bonjour ! j'aime beaucoup cette pièce (sans la "vénérer" ;) ), mais je l'ai découverte assez tardivement. Quand je suis devenue professeur, en fait, et que j'ai constaté qu'elle revenait systématiquement dans les manuels scolaires.
RépondreSupprimerConcernant tes différentes remarques, je me permets de donner mon analyse :
Quand Etéocle est présenté comme le "bon frère", il faut uniquement y voir les paroles rapportées de Créon : c'est l'argument qu'il donne pour justifier sa décision, mais il n'y croit pas lui même (il avoue d'ailleurs à la fin qu'il est de toute façon impossible de distinguer les deux frères).
Ensuite, concernant l'attitude d'Antigone, elle s'explique par le refus des lois humaines face aux lois divines. Evidemment, tout ce petit monde est soumis au destin (le principe même d'une tragédie antique) et à la malédiction qui pèse sur leur famille.
Ne pas oublier qu'il s'agit qu'une réécriture de la pièce de Sophocle, comme l'ont déjà rappelé les commentaires précédents ;)
Merci pour vos commentaires :)
RépondreSupprimerJe sais qu'il s'agit d'une réécriture et j'ai lu Sophocle il y a longtemps, donc les détails je les ai un peu oubliés, mais les tragédies grecques ont un niveau de réalisme différent, ce qui fait qu'on accepte plus facilement l'incohérence. Il me semble que pour Sophocle, Créon est un vrai tyran, et le fait d'enterrer Polynice a une véritable importance religieuse et morale, tandis que dans cette pièce, Antigone avoue sans problème qu'elle n'accorde aucune importance à ce geste pour l'âme de son frère ou quoi que ce soit. C'est ça qui fait que ça perd tout son sens de vouloir mourir pour le faire... Et puis il me semble que pour vraiment aimer une pièce, il faut pouvoir le faire parce qu'elle est belle et à du sens indépendamment de son contexte historique ou de la pièce originale dont elle est la réécriture.
@fortyviveweeks : je n'ai pas compris de quelles lois divines on parle, il n'y a pas la moindre mention d'un ou plusieurs dieu(x) dans cette histoire ? Et comme je disais, je n'y vois pas le moindre destin non plus, alors que lui on en parle tout le temps... Quant à Créon, il explique en effet qu'il lui fallait un mauvais et qu'il l'a choisi, mais justement, pourquoi prendre celui qui est le moins coupable ?
Moi j'ai aimé cette pièce mais j'ai préféré celle de Sophocle car on comprend mieux le choix d'Antigone : se soumettre à l'autorité des dieux plutôt qu'à celle des hommes, qui lui est inférieure. Concernant l'injustice faite à Polynice, dans la pièce de Sophocle, il fait figure de méchant car il a osé se retourner contre sa cité (impensable pour un Grec de cette époque) ; chez Anouilh, c'est plus flou car les deux frères sont un peu mis dans le même panier par Créon si je me souviens bien. Ce que j'ai aimé chez le personnage d'Antigone d'Anouilh, c'est son désir et son exigence d'absolu, et en ce sens, je trouve que tu as tout à fait raison de la comparer à une ado bornée, c'est aussi ce qu'elle est, mais pas seulement ; je l'ai trouvée touchante et pleine de poésie, prête à mourir pour ses idées. Je comprends ton énervement, je ressens le même avec Emma Bovary par exemple, bien que j'adore le roman, son personnage m'agace : quelle naïveté ! Je lui donnerais bien quelques claques moi aussi ! Si tu veux, on peut monter un club ;)
RépondreSupprimer