21 mars 2022

Bienvenue dans l'Anthropocène (The Anthropocene Reviewed), de John Green

Après une bonne dose de science-fiction, nous voici revenus sur terre et dans le présent avec un livre plus contemplatif qui m'a agréablement surprise.

 
Résumé :
 
Dans cette collection d'essais, l'auteur commente et donne une note sur cinq à une série de facettes de notre époque. De l'internet au vaccin contre la variole, des peintures de Lascaux au Dr Pepper sans sucre, du monopoly à la méningite virale, chaque chapitre représente à la fois une expérience personnelle à l'auteur et une petite partie de notre expérience commune en tant qu'humanité qui a pris une importance jamais égalée dans l'histoire des espèces.
 
 
Mon avis :
 
Voici un livre que j'ai mis beaucoup de temps à me décider à lire. Je connais bien les frères Green (John et Hank) de par leurs activités en ligne : Vlogbrothers, Vidcon, The Lizzie Bennet Diaries (une adaptation magnifique d'Orgueil et Préjugés sous forme de vlog contemporain), CrashCourse, plus récemment leurs activités sur TikTok, et bien d'autres choses encore. Ce sont deux hommes que j'admire beaucoup pour leur capacité à saisir le potentiel des réseaux sociaux pour en faire quelque chose de beau et d'utile. Mais ce sont aussi (et, en tous cas pour John, avant tout) des écrivains. Un peu paradoxalement, j'ai lu les deux romans de Hank Green (An Absolutely Remarkable Thing - traduit sous le titre ridicule "Un truc de fou" - et A Beautifully Foolish Endeavor) qui est pourtant le moins connu des deux auteurs, mais je n'ai jamais lu les romans très célèbres de son frère John, notamment Nos Etoiles Contraires. Pourquoi ? Principalement parce que généralement la littérature pour jeunes adultes ne m'intéresse pas tellement, et aussi parce que je suis devenue trop sensible pour faire face à des romans traitant de sujets émotionnels.
 
Quand j'ai entendu parler de The Anthropocene Reviewed, à sa sortie l'année passée, j'ai donc été à la fois intriguée et méfiante. Intriguée par le fait qu'il ne s'agisse pas d'un roman et qu'il soit annoncé comme un livre pour adultes ; méfiante parce que j'ai toujours peur que les oeuvres non-fictionnelles soient trop sérieuses ou ennuyeuse, car en ce moment je cherche surtout de la lecture divertissante, qui m'entraîne facilement loin de mon quotidien sans trop d'effort intellectuel ou émotionnel.  Le titre me paraissait aussi particulièrement obscur : Une revue de l'anthropocène ? Ca va parler de quoi, de périodes géologiques ? Puis j'ai appris qu'il s'agissait d'essais, ce qui ne m'a pas trop rassurée : encore un auteur qui nous sort 200 pages sur son nombril ? Puis j'ai découvert qu'il s'agissait d'une adaptation d'un podcast - mouais, du recyclage... Et puis enfin j'ai appris que le livre audio était narré par l'auteur lui-même, alors j'ai écouté un extrait qui m'a plu, et je me suis finalement lancée.
 
Et encore une fois, je me suis prouvée à moi-même que quand je me fais un premier avis sur un livre sans me renseigner un minimum, je me plante à tous les coups ! Ce livre était absolument le contraire de ce que je craignais. Sérieux ? Un peu, mais en même temps léger et futile. Ennuyeux ? Jamais ! Je l'ai écouté d'une traite, en quelques jours ; en fait, le test ultime du livre qui me plaît, c'est quand je me trouve de nouvelles tâches ménagères à accomplir juste pour pouvoir continuer à en écouter la version audio. Merci monsieur Green, grâce à vous la bibliothèque et l'armoire à jouets ont été entièrement triés ! 
 
Quant à savoir s'il s'agit d'un de ces recueils de pensées où l'auteur se regarde le nombril... Un peu ? Il parle en tous cas beaucoup de lui-même, parfois via des anecdotes, parfois plus longuement ; chaque sujet est lié à un souvenir ou une expérience, dont certains sont vraiment très, très personnels. Pour être honnête, il y a des choses avec lesquelles on a du mal à s'identifier, notamment en tant qu'Européen : la ville d'Indianapolis, les cartes odorantes à gratter, les concours de manger de hot dogs ou le goût du Dr Pepper ne font pas exactement partie de mon expérience personnelle. Mais ça ne m'a pas semblé très grave, car l'auteur a une plume efficace qui nous transporte facilement. 
 
Et plus on avance dans les chapitres, plus il se confie, avec pudeur mais une honnêteté particulièrement touchantes. En fait j'ai été impressionnée par son courage : il dévoile non seulement sa sensibilité à fleur de peau, mais aussi ses problèmes de santé physique et mentale, son anxiété chronique, sa dépression, ses difficultés sociales quand il était enfant, son amour pour sa famille, et ses hontes personnelles. Il n'est jamais larmoyant mais j'ai eu envie, tour à tour, de le prendre dans mes bras pour le consoler comme un enfant, de lui demander de m'en dire plus sur tel ou tel sujet qui le passionne, ou de lui parler à mon tour de ces choses dont je ne parle à personne. Il est tellement touchant, tellement vrai, qu'il force l'empathie.
 
Ceci dit, ce n'est pas pour autant une autobiographie. D'abord, à côté des expériences personnelles, il y a beaucoup de faits : la passion didactique de l'auteur est manifeste et son enthousiasme pour les choses les plus surprenantes est contagieux. On apprend ainsi l'histoire du jeu Monopoly, de la découverte de la grotte de Lascaux, de certains hymnes de football, de la boisson Dr Pepper, et pas mal d'autres choses. L'alternance entre données et souvenirs produit une balance entre faits et émotion qui empêche de se lasser de l'un ou de l'autre.
 
En réalité, le but de cette formule originale (un sujet - une histoire - des souvenirs - une notation), c'est avant tout d'écrire une formidable lettre d'amour à l'humanité. Toutes ces (relativement) petites choses qui servent de sujet à chaque chapitre représentent le meilleur ou le pire de notre expérience partagée. Quand il s'agit du pire (la disparition d'une espèce d'oiseau, le mercantilisme du monopoly, la douleur physique...) l'auteur y trouve quand même un aspect positif ; quand il s'agit de quelque chose de beau, il le remet dans un contexte qui n'est jamais parfaitement rose. Je ne m'y attendais pas du tout, mais cette lecture m'a fait la même impression que Terre des Hommes, de Saint-Exupéry : on y parle d'avion, mais en fait on y parle de nous. Ici, on parle de soda, d'oiseaux, d'oeuvres d'arts ou du clavier QWERTY, mais en fait on parle de nous. Et le "nous" semble encore plus réel que ce livre a été écrit en 2020, en pleine pandémie, quand nous étions chacun confinés chez nous, partageant cette expérience à la fois isolatrice et globale. C'est exactement ce que fait l'auteur : il nous décrit les petites choses qui font partie de sa vie individuelle, et nous laisse découvrir à quel point elles représentent notre expérience commune. 
 
En résumé : ce fut une lecture qui m'a très agréablement surprise. J'avais peur de m'ennuyer et à la place j'ai passé des heures pleines d'émotion. C'est une magnifique déclaration d'amour à notre époque humano-centrée, avec ses beautés et ses défauts. Je recommande chaudement, d'autant plus qu'il vient d'être traduit !


Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre, avec les avis d'autres lecteurs
- une liste des sujets du podcast, qui donne une idée des sujets des chapitres (les sujets sont différents pour le livre écrit, l'ebook, l'audiolivre et même d'autres formats) - mais je conseillerais de se laisser surprendre à la lecture, ils sont tellement inattendus qu'ils donnent le sourire quand on les découvre.

 

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