Il faut que vous le sachiez : ce livre est la raison principale qui m'a décidée à réouvrir mon blog. Il FALLAIT que je vous en parle. Il y a tellement de choses à en dire que cet article ne peut qu'être très long, alors je vais essayer de limiter l'aspect "pavé" en mettant en gras certaines phrases qui résument le contenu d'un paragraphe. Cependant, attention à ceux qui n'ont pas lu les deux premiers tomes : les spoilers sont inévitables, même si je vais essayer de ne dévoiler que les très grandes lignes de l'intrigue.
Si la série Terra Ignota compte quatre tomes, on peut aussi dire que d'une certaine façon, elle contient deux paires de romans. La première paire raconte les quelques jours qui font basculer le monde, narrés par Mycroft Canner à la demande et avec l'aval des personnages concernés, dans le but d'informer leurs contemporains des enjeux de la guerre à venir. Le tome 1 servait surtout à présenter un monde radicalement différent du nôtre, ce qui le rendait extrêmement intéressant mais aussi difficile à appréhender, tandis que le deuxième tome entrait vraiment dans l'action. Avec le tome 3 on commence une nouvelle narration, privée celle-là, que Mycroft (et d'autres voix, j'y reviendrai) destine non pas à ses contemporain mais aux générations futures. Et comme pour le tome 1, celui-ci représente presque une introduction, un tome intermédiaire.
Ce qui ne veut absolument pas dire qu'il ne s'y passe rien ou que je me suis ennuyée ; au contraire, les pions se mettent en place et quelques grosses surprises nous attendent. Mais je ne m'attendais pas à tout un tome sur une période d'entre-deux. Un traître a réussi à dévoiler une cabale aux plux haux niveaux de pouvoir qui dévoile les divisions longtemps cachées entre les plus grandes ruches, et a terminé son oeuvre par un énorme coup d'état violent. Tout le monde semble persuadé que la guerre sera inévitable, la première guerre depuis des centaines d'années, une guerre forcément terrible car, les nations étant géographiquement mélangées, elle ressemblera plus à une guerre civile, voisins contre voisins, qu'à une confrontation d'armées. Mais on n'en est pas encore là ; les solutions diplomatiques et les réformes sont tentées, tandis que les ruches se donnent le temps d'accumuler des resources, de s'entraîner et de se protéger. Alors que la fin du tome 2 laissait présager un tome 3 explosif, on est plutôt dans l'expectative que dans l'action.
Ceci dit, cette période intermédiaire était nécessaire. Le monde vient de vivre un véritable traumatisme et il faut le temps que les choses soient assimilées. Il faut aussi du temps pour que Mycroft puisse terminer la rédaction de sa chronique (le contenu des deux premiers tomes, rédigés pendant les événements de ce troisième) et qu'elle soit publiée pour que chacun comprenne les tenants et aboutissants de la crise et que deux camps clairs se distinguent, deux options pour l'avenir qui apparaissent de plus en plus irréconciliables. Et puis il y a J.E.D.D. MASON, le jeune homme autour duquel une des fractions se rassemble, et qui vient de vivre, en direct devant toutes les caméras du monde, un événement extraordinaire prouvant qu'il est plus qu'humain. Il était nécessaire de voir comment le principal intéressé et l'humanité toute entière se remettrait de ce choc. Et enfin, du point de vue narratif, il faut vraiment du temps pour faire comprendre au lecteur à quel point cette guerre sera plus dangereuse encore que les précédentes, comment le système des ruches change fondamentalement le champ de bataille, et à quel point un monde qui n'a connu la guerre que dans les livres d'histoire ancienne n'a aucune référence pour faire face à la violence à venir.
Ce que j'ai particulièrement aimé dans ce tome, c'est son côté utopique qui se maintient malgré la catastrophe humaine qui se prépare. Les deux ennemis principaux annoncent clairement qu'ils ne pourront se satisfaire de moins que la mort de leur rival, mais chacun des deux veut sa mort car il est persuadé que c'est la seule solution pour obtenir durablement une société équilibrée et en paix. De plus, chacun des principaux dirigeants se rend compte qu'une guerre immédiate sera un carnage et ils s'accordent facilement sur une trève qui permettra à chacun de se préparer. Il n'y a pas de "bons" face à des "mauvais", ce sont deux futurs qui s'affrontent, et il m'aurait été difficile de choisir. L'autrice a aussi une vision véritablement positive du progrès : ce tome nous prouve que l'humanité a progressé dans son ensemble vers plus de bonté et de paix. L'erreur qui a été faite ce fut de croire qu'une paix durable peut être bâtie en balayant sous le tapis tous les sujets qui fâchent - la violence (individuelles et institutionnalisée), la religion, les conflits entre nations, le sexe et le genre. Tout à coup, une humanité qui n'a même plus les mots pour parler de ces choses les voit ressurgir brutalement - via les meurtres de Mycroft et puis d'O.S., les salons de Madame, la clique de dirigeants qui considèrent qu'assassiner les membres des autres ruches est légitime quand il s'agit de protéger la sienne. Et la pression explose. Et la guerre arrive, mais simultanément l'utopie continue : presque tous les
dirigeants veulent limiter la
souffrance de toute l'humanité, et certaines ruches vont faire des sacrifices inconcevables dans ce but.
Cette série de romans a donc un ton tout à fait unique, mais également un ensemble de personnages qui ne ressemblent à rien de connu, et ce tome permet d'en découvrir de nouveaux ou d'en approfondir certains. Je pense par exemple à Achille, entre légende et réalité; Sniper, entre personnage de téléréalité et héros de la résistance; J.E.D.D. MASON, entre alien insensible et dieu de bonté, avec le potentiel de devenir un sauveur ou un monstre ; Saladin, toujours là et en même temps jamais là ; et même Mycroft, entre idéaliste et psychopathe, dont la narration balance d'une sympathie exceptionnelle (jusqu'à nous fatiguer de ses larmes incessantes) à l'habitude malsaine de revenir encore et encore sur les détails de ses meurtres ultra-sordides. Vers la fin du récit, quand un autre narrateur prend la relève, j'ai été toute surprise de découvrir ces personnages décrits comme des gens presque normaux une fois dépouillés des commentaires de Mycroft ; c'était comme leur retirer un masque pour les rendre beaucoup plus crédibles.
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