13 novembre 2009

Les accommodements raisonnables, de Jean-Paul Dubois


Je vous présente aujourd'hui le tout premier livre que j'aie reçu grâce aux partenariats du site Livraddict. Il a été envoyé gratuitement par les éditions Points pour que je puisse le découvrir et le faire découvrir à mes lecteurs. Je n'en connaissais donc que le titre, l'auteur et la quatrième de couverture; c'est une totale nouveauté que je ne regrette absolument pas.


Résumé:

Paul Stern passe par une période difficile. Depuis la mort de son oncle riche et dévoyé, son vieux père semble avoir décidé de le remplacer et jette par dessus-bord tous les principes moraux qu'il a inculqués à son fils. Anna, l'épouse de Paul, se noie depuis des mois dans une mer de dépression où personne ne semble pouvoir l'atteindre. Ses enfants lui sont presque étrangers, et ce sont ses petits-fils qui lui paraissent les membres les plus mûrs de sa famille. Au point de vue professionnel non plus, ça ne va pas très fort: son boulot de "script doctor", chargé de réécrire des scénarios de films ou de séries, lui semble terriblement superficiel. C'est pourquoi, quand Paul reçoit une offre d'emploi de plusieurs mois à Hollywood, il saute sur cette occasion et prend consciemment la fuite. Mais dans la ville du cinéma, où les tentations sont nombreuses et les vies désordonnées, Paul doit sans cesse s'octroyer des "accommodements raisonnables" entre sa morale et ses besoins, sa conscience et ses envies, sans savoir jusqu'où ces compromis le mèneront.


Mon avis:

C'est le premier livre que je lis de Paul Dubois, un auteur dont je n'avais jamais entendu parler, et je l'ai lu sans avoir croisé la moindre critique, donc sans le moindre a-priori. Au cours de ma lecture, je me suis souvent demandé si j'aimais ou pas. Au final, la réponse est positive: c'est une histoire un peu lente, un peu lourde, un peu dérangeante, mais que j'ai appréciée.

Parmi les points positifs, j'accorde la première place au style de l'écriture. C'est joliment écrit, à la première personne, sur un ton très naturel et pourtant recherché. Le vocabulaire est varié, sans tomber dans le travers de certains auteurs qui donnent l'impression d'avoir remplacé tous les mots trop communs par des synonymes trouvés dans le dictionnaire et pas toujours bien compris.

Au niveau de l'intrigue, ceux qui recherchent de l'action vont être déçus. L'histoire avance pas à pas, mois après mois, mais les pages sont plutôt remplies d'une longue introspection. L'atmosphère est assez sombre puisqu'elle est vue au travers des yeux d'un homme désabusé ascendant cynique qui voit tous ses repères s'écrouler un à un. Le monde décrit est ancré dans un passé récent (celui de l'élection de Sarkozy, de la grève des scénaristes d'Hollywood) et parsemé de quelques noms connus (surtout des acteurs américains), ce qui rapproche le héro du lecteur, mais les extravagances des personnages aussi bien en France qu'aux Etats-Unis plongent tout ceci dans une brume d'irréalité qui donne à l'ensemble le goût d'un monde parallèle.

Ce qui m'a le plus dérangée dans tout ceci, c'est l'attitude du narrateur, Paul. C'est un grand passif qui se laisse écraser par le destin, par ses pulsions et par les autres. Il donne a lui tout seul le titre du roman en ne cessant d'agir à l'inverse de ce qu'il sait être bien ou juste: il se laisse mettre à l'écart par sa femme et son psy, tout en réalisant qu'ils l'empêchent de jouer le rôle du mari qu'on attend de lui; il s'enfuit dès qu'il en a la possibilité, laissant derrière lui ses devoirs et sa culpabilité; il abdique immédiatement face à ses pulsions dès qu'elles le poussent à faire ce qu'il sait être mal; il se laisse consciemment manipuler par les grands pontes du cinéma qui en font un traître à ses collègues; il va même jusqu'à se faire torturer le dos par un charlatan et boire le jus dégoûtant produit par un champignon, juste parce qu'on lui a dit qu'il en avait besoin. A chaque pas, il sait pertinemment qu'il s'enfonce un peu plus loin de ses principes et de sa dignité, mais il accepte, passivement, au nom des "accommodements raisonnables" qui lui permettent de vivre.

Du coup, j'espérais presque que justice soit faite et qu'il récolte les épines des roses qu'il cueillait. Je voulais aussi savoir jusqu'où il irait avant de se noyer. Et c'est là que ce livre fait réfléchir: jusqu'où peut-on aller sans perdre pied, avant de ne plus pouvoir se regarder dans un miroir ? L'auteur ne donne pas de réponse, puisqu'il termine son roman par une petite volte-face un peu décevante. Je me demande encore si son but était de persuader le lecteur que les accommodements que nous faisons avec notre conscience sont nécessaires et raisonnables, s'ils permettent de poursuivre sur un meilleur pied. Si c'est le cas, il n'a pas atteint son but avec moi: je reste persuadée que dans l'histoire de Paul, tout aurait pu - peut-être même, aurait dû - se finir très différemment. Mais ça ne m'empêche pas de le remercier pour un roman que j'ai parcouru de bout en bout avec plaisir, et pour un questionnement qui en vaut la peine.

Avant de terminer, un passage tiré des dernières pages mais qui résume bien l'état d'esprit de Paul tout au long du livre:
Il me fallut un certain temps pour comprendre que ma famille venait de vivre une année singulière, une période que nous n'avions jamais connue jusque-là et qui nous avait tous amenés à nous enfuir droit devant nous, pareils à des animaux qui détalent devant un incendie. Mon père avait basculé le premier, Anna ensuite, et moi enfin. Nous étions partis chacun dans des directions lointaines ou opposées, aveuglés par diverses formes de paniques, comme si quelque chose d'impérieux nous chassait de nos vies. L'origine de cette étrange épidémie rôdait quelque part en nous-mêmes. Les accommodements raisonnables que nous avions tacitement conclus nous mettaient pour un temps à l'abri d'un nouveau séisme, mais le mal était toujours là, tapi en chacun de nous, derrière chaque porte, prêt à resurgir.
Encore une fois, merci à Livraddict et aux Editions Points pour cette découverte !

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