26 février 2010

Dracula, de Bram Stoker


La lecture commune pour le Book Club de Livraddict du mois de février portait sur le fameux "Dracula" de Bram Stoker. L'occasion de retourner aux sources de la littérature bit-lit en vogue en ce moment et de découvrir un classique de la littérature que je ne connaissais pas du tout.


Résumé:

Jonathan Harker, clerc de notaire londonien, est envoyé en Transylvannie pour aider le comte Dracula à préparer un futur voyage en Angleterre. Il se rend rapidement compte que son hôte est un être très étrange qui ne se nourrit pas, n'apparaît pas dans les miroirs, vit uniquement la nuit et marche horizontalement le long des murs... Au fil des jours, Jonathan réalise qu'il est en réalité prisonnier du comte, et que sa vie est en danger.


Mon avis:

De façon générale, j'ai été très heureuse de découvrir ce classique de la littérature anglo-saxonne et de la culture populaire, le genre de livres dont tout le monde connaît le titre sans rien en savoir. L'histoire est intéressante et, d'après Wikipédia, si ce n'est pas le premier récit mettant en scène un vampire, c'est en tous cas celui qui crée les caractéristiques du vampire tel qu'on le connaît à l'heure actuelle. 

Un des aspects intéressants d'après moi, c'est la narration sous forme épistolaire - ou plutôt, pour être précise, sous la forme d'écrits par des personnages divers. Il s'agit principalement des journaux pas très intimes des personnages principaux, leurs memoranda, correspondance, des articles de journaux, etc. Le récit est donc divisé en parties de longueurs différentes et raconté par la voix de plusieurs protagonistes. Certains faits sont découverts indirectement, via quelques mots dans une lettre ou un télégramme. En plus de ça, ces documents font également partie de l'histoire: s'ils n'ont aucun lien au début, lorsque les différents auteurs se rencontrent et entament leur chasse au vampire, ils les rassemblent pour en faire le dossier qu'ils utilisent pour documenter leur enquête. Ca n'empêche que les différents narrateurs ne se limitent pas aux faits mais n'hésitent pas à dévoiler leurs sentiments et impressions, comme s'ils ne pouvaient s'empêcher d'exprimer les émotions qui les submergent dans les moments les plus impressionnants. Ceci rajoute une dimension au livre que j'ai beaucoup appréciée.

Il y a aussi beaucoup à dire concernant la construction de ce roman classique (XIXè siècle, dans la lignée des romans dits gothiques) et la vision du monde qu'il reflète.  Je m'interroge encore sur le but de Stoker: dépeindre les moeurs de son temps, ou les dénoncer subtilement ?  

Il ne cesse par exemple de dépeindre les différences de classes sociales: il y a les personnages principaux représentant la noblesse (Lord Arthur Godalming), la richesse récente (Quicey Morris) et la bourgeoisie éduquée (les deux docteurs, et dans une moindre mesure, Jonathan et Mina); et puis il y a le reste du peuple, qui parle un argot difficilement compréhensible assorti à une orthographe complètement fantaisiste, qui ne cesse de demander de l'argent pour le moindre renseignement et l'utilise pour s'enivrer, et qui devient obséquieux dès que Lord Godalming apparaît. Mais ces différences sont tellement accentuées et répétées que ça en devient soit une maladresse assez évidente de l'auteur, soit une façon pour lui de dénoncer la condescendance des classes "supérieures" envers le peuple. 

Le même genre de condescendance apparaît envers le docteur Van Helsing: même s'il est considéré comme un très éminent docteur, jamais critiqué, toujours admiré et le chef du petit groupe de héros, ses écrits et discours sont quand même parsemés (en anglais) de fautes de grammaire dont certaines sont très graves et assez peu crédibles pour un personnage qui possède un si large vocabulaire dans cette langue. Encore une fois: une façon très lourde de présenter l'étranger comme inférieur puisqu'incapable de maîtriser la langue, ou une insistance sur ce point dans le but de dénoncer ce genre de préjugé ?

Un dernier exemple de ce procédé s'applique à la vision des femmes: sans cesse, elles sont présentées par les personnages masculins comme de jolis objets destinés à rester à la maison et à apporter au ménage la sensibilité d'une femme tout en laissant à l'homme le rôle de dirigeant, la capacité et l'intelligence. Ce sont aussi des êtres très fragiles, qu'il faut protéger à tout prix (c'est le rôle de tout gentleman) et à qui il faut épargner la moindre contrariété sous peine de mettre leur santé en péril. Pourtant, la principale personnage féminine de cette histoire contradit entièrement ces principes. Elle est bien la plus forte de tous, capable de prendre des décisions très dures, elle résiste admirablement au pouvoir du vampire, et c'est son intelligence qui permet de reprendre la traque quand tout semble perdu. D'ailleurs, c'est quand les hommes essaient de l'épargner en lui cachant leurs activités pour ne pas la troubler qu'ils la mettent le plus en danger...  Comme dit Van Helsing, Mina a la sensibilité d'une femme et l'intelligence d'un homme - une assertion assez contradictoire, puisqu'elle prouve justement que l'intelligence n'est pas l'apanage des hommes.

Au niveau des personnages, quelqu'un a fait remarquer pendant le Book Club la correspondance entre Van Helsing et Dracula, qui représentent un peu les faces bonne et mauvaise de la même personnalité. Dracula lui-même est plutôt décrit par ses pouvoirs que par son état mental; on sait juste qu'il représente le mal absolu qui a envahi une pauvre âme interdite de paradis. D'ailleurs le chasser est en réalité lui rendre service, tuer le monstre qui le possède depuis des centaines d'années. Mais ni Van Helsing ni Dracula ne sont exempts d'erreurs: si Van Helsing avait fait moins de mystères de ses connaissances des vampires, il aurait pu éviter de gros dommages, et si Dracula avait agi de façon plus intelligente à Londres, il aurait pu ne pas s'y faire repérer. Les quatre autres hommes sont un peu en retrait face à ces deux fortes personnalités. Seule Mina tient la comparaison: une femme admirable qui, comme je le dis plus haut, sort de sa condition sans vraiment la combattre.

Pourtant, si j'ai beaucoup à dire sur ce roman, ce n'est pas pour ça que je suis totalement séduite. J'ai mis longtemps à le lire, en partie parce que j'étais occupée, en partie parce que je n'étais pas particulièrement impatiente de connaître la suite, ce qui est un assez mauvais signe pour un roman d'aventure et de suspense. L'histoire est loin d'être effrayante, et à mon avis ce roman a mal vieilli. 

Il y a d'abord le fait que les lecteurs d'aujourd'hui sont familiers avec la représentation des vampires que les premiers lecteurs de cette oeuvre découvraient; tout le suspense sur la nature de la maladie  de Lucy se transforme aujourd'hui en longueurs pénibles puisqu'on sait immédiatement de quoi il s'agit.  Il y a aussi le style narratif, un peu long, un peu pompeux; ce n'est pas dérangeant chez un grand écrivain comme Dickens, mais sous la plume de Bram Stoker, les longs discours de Van Helsing ou les fréquentes descriptions du comportement de Renfield pèsent assez lourd. Entre le début, au château de Dracula, et la dernière partie, la chasse à proprement dite, j'ai eu de nombreuses fois l'occasion de m'ennuyer. Ce sentiment a peut-être été accentué par le fait que j'ai dû hacher ma lecture en plusieurs fois, c'est possible... D'autant plus que d'autres lecteurs d'aujourd'hui ont beaucoup aimé, comme par exemple Thalia.

Au final, un livre que je suis contente d'avoir lu et contente d'avoir enfin fini. Je vous le recommande si vous êtes curieux, peut-être moins si vous cherchez un moment de détente... 

9 commentaires:

  1. Je ne me souvenais pas que c'était aussi longuet, mais ca fait bien longtemps que je l'ai lu... en tout cas, la couverture de ton édition est très sympa !

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  2. C'est l'édition la moins chère en anglais, mais j'ai pas mal abîmé la couverture à force de le trimballer partout pour essayer de le terminer... Honte sur moi ! :D

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  3. Merci beaucoup pour ce billet très très complet. Ce que tu as lu entre les lignes est vraiment bien expliqué (sur l'étranger, sur le mysogynisme ambiant...). Comme tu le dis, je note que c'est un livre qui a mal vieilli !

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  4. Très bel article, Nathalie ! Et entièrement d'accord avec toi sur beaucoup de choses !

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  5. Bel article, oui... le fait que Van Helsing ne dise pas grand-chose sur ce qu'il sait est une métaphore de l'époque où la parole était assez étouffée... et le sang qui coule en est le contraire, métaphoriquement parlant ! enfin, je crois...

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  6. Cela avait été un véritable coup de coeur pour moi en 2009. J'avais aimé la plume de l'auteur, la manière dont il avait construit son roman. UN moment excellent.

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  7. Je n'ai fait que survoler ton article, mais je reviendrai le lire dans son intégralité. J'avais lu Dracula quand j'avais 16 ou 17 ans je crois, vers l'époque de la sortie du film de Coppola, et je l'avais dévoré. Mal vieilli? Pas dans mes souvenirs. Et pourtant adolescent je n'étais pas spécialement ouvert aux styles littéraires recherchés du XIXème. Si tu veux lire un Bram Stoker qui a, lui, vraiment mal vieilli, essaye The Lair of the White Worm, celui-là j'ai eu un mal de chien à le faire avancer et d'ailleurs je ne l'ai toujours pas fini. Tiens, ça me rappelle d'ailleurs que j'avais vraiment envie de voir le film et que je ne l'ai toujours pas fait...

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  8. Enfin fini !!! Je suis vraiment déçue !!! Je m'attendais à être beaucoup plus passionnée par cette histoire. Je n'ai absolument pas réussi à me représenter ni les personnages ni les lieux décrits.

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  9. J'ai relu une version courte il y a peu et j'ai beaucoup aimé la deuxième partie! Les passages lorsque Jonathan est dans le château est assez long!

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