17 juin 2010

La part du mort, de Yasmina Khadra

Voici encore un livre découvert lors de la préparation du Livraddict Mag Spécial Polar (pas encore le dernier, mais on s'en rapproche). Un nouvel enquêteur qui vaut son pesant d'originalité. Par manque de place, je n'ai pas pu vous le présenter aussi bien que je voudrais sur les pages du Mag, alors je me rattrappe ici...


Résumé :

"La part du mort" est une longue nouvelle (ou un court roman) présentant l'inspecteur Brahim Llob. Algérien, à la fois fier de sa nation et honteux de ce qu'elle devient, Llob vit à Alger où il exerce la fonction de commissaire. Bougon, un peu macho, la langue bien pendue et une propension significative à se faire autant d'ennemis que d'amis, Llob en est à regretter l'ennui qui s'installe en l'absence de crime, quand le voilà soudainement pris au milieu de la tourmente. Son adjoint préféré, Lino, s'est entiché d'une courtisane beaucoup trop haut placée pour lui. Cette histoire d'amour malheureuse va l'entraîner très loin, jusqu'au point où il est accusé de meurtre et où Llob devra se précipiter à son secours...


Mon avis :

J'ai découvert le recueil de nouvelles dans lequel figure "La part du mort" tout à fait par hasard : le réseau des bibliothèques municipales d'Helsinki a eu la bonne idée de créer une série de flux rss recensant les nouvelles acquisitions, et dans la section "littérature étrangère", ce titre en français m'a tapé dans l'oeil. La quatrième de couverture semblait centrée sur l'Algérie, et je ne suis jetée sans arrière-pensée sur cette promesse de dépaysement. Le seul souci avec les nouveaux livres, c'est qu'ils sont très demandés, et j'ai dû rendre celui-ci sans avoir pu en lire les autres nouvelles.

Si j'ai envie de parler de vous parler de celle-ci (je pourrais dire : de ce roman, vu sa longueur), j'ai surtout envie de vous présenter Brahim Llob. C'est une figure qu'on n'oublie pas. Il constitue à lui seul toute la raison d'être de l'enquête dont il est le héros, et à plus d'un titre.

Llob est un personnage très complexe, dépeint en termes subtils. Il est macho, désagréable par moments, assez vulgaire dans son vocabulaire, il a la rancune tenace et n'est pas le champion de la diplomatie. Mais il est aussi fidèle en amitié et en amour, faible envers ses subordonnés, plein d'un amour désabusé pour son pays, et surtout, d'une honnêteté à toute épreuve. Dans un environnement pourri jusqu'à la moëlle, où les droits les plus élémentaires se négocient et où on ne fait sa place au soleil qu'en écrasant son voisin, Llob refuse le moindre compromis avec sa conscience. Il en paie le prix, celui d'une carrière peu glorieuse et d'une situation financière difficile. C'est aussi une terrible faiblesse : certains n'hésitent pas à l'utiliser puisqu'ils peuvent prévoir ses réactions.

Après Llob, le deuxième héros de l'aventure, c'est l'Algérie. L'auteur (au fait, je vous ai dit que Yasmina Khadra était un homme ? Un pseudonyme, en fait) nous plonge dans l'Algérie post-révolutionnaire, celle qui ne s'est toujours pas remise de ses erreurs et qui ne parvient pas à retrouver le droit chemin. Au travers des yeux de Llob, Khadra en célèbre la beauté et en pleure l'anarchisme. Et il nous prend aux tripes, il n'y a aucun doute là-dessus. Sans cours d'histoire, sans développements politiques, mais avec une vérité qui nous fait partager sa mélancolie et sa colère sur tout ce gâchis.

J'ai également adoré le style de la rédaction. Ce récit est écrit à la première personne, et Llob, en tant que narrateur, est un bonheur à lire. Il a de ces métaphores, de ces répliques cinglantes, qui vous donnent envie de les noter pour pouvoir les réutiliser. Ce n'est pas du poétique, c'est du terre-à-terre et de l'imagé, de l'original et du caractère. J'en suis d'autant plus désolée de ne pas avoir eu l'occasion de prendre quelques passages en notes avant de rendre le livre à la bibliothèque.

Au niveau de l'intrigue, ça commence doux, très doux. Jusqu'à la moitié de l'histoire, peut-être un peu plus, il se passe des choses mais Llob est emporté par les événements sur lesquels il n'a aucun contrôle, toutes ses initiatives aboutissant à des échecs. C'est peut-être le point faible de cette lecture, ces pages rageantes où l'on se sent aussi impuissant que lui. Mais finalement il reprendra les choses en main, l'aventure s'accélère, un guet-apens se met en place... jusqu'au dénouement final, de toute beauté parce que totalement imprévu, aussi bien par Llob lui-même que par nous, lecteurs. J'ai refermé ces pages avec, au coeur, le gros pincement qu'il a dû ressentir.

Ce sera tout, je crois. Inutile de vous dire que j'ai apprécié cette lecture : c'est une découverte pleine de caractère, une perle d'auteur qu'il faut que j'approfondisse. Je vous invite chaleureusement à découvrir Brahim Llob et Yasmina Khadra, et je vous promets d'autres billets à leur propos dès que j'en aurai l'occasion.


Pour en savoir plus :
- le Livraddict Mag où l'on parle de Llob à la page 52 ;
- la fiche Bibliomania du livre, avec toutes les informations pratiques ;
- la critique de Jeff de la nouvelle Morituri, la deuxième de ce recueil.

6 commentaires:

  1. Tu attises encore plus ma curiosité que dans le mag, je note, je note !

    RépondreSupprimer
  2. Je ne suis pas fan de nouvelles alors je passe sur ce titre d'autant plus que Les cerfs-volants de Kaboul sont dans ma PAl pour le challenge ABC. J'ai découvert Kadhra avec L'écrivain et j'ai hâte de le relire !

    RépondreSupprimer
  3. Véro, la première nouvelle fait plus de 200 pages, c'est pas vraiment une nouvelle... Donc faut pas avoir peur ;)

    RépondreSupprimer
  4. C'est drole moi j'ai lu 'La part du mort' version roman l'annee derniere (beaucoup trop long pour etre une nouvelle a mon avis). J'ai vraiment aime, surtout le style image de Khadra, tres tres fort.

    RépondreSupprimer
  5. @L'ogresse : moi aussi je trouve ça étrange de publier ce roman dans un recueil de nouvelles, ça transforme le recueil en énorme pavé dont "La part du mort" fait la moitié à lui tout seul. Ils ont essayé de rassembler toutes les apparitions de Llob, en fait.

    RépondreSupprimer
  6. Oui, bonne lecture en effet, quoiqu'un peu longuet, surtout sur toute la première partie. Mais dans l'ensemble, j'ai apprécié cette lecture.

    RépondreSupprimer