22 juin 2010

Le faucon de Malte, de Dashiell Hammett

Ca y est, c'est le dernier livre lu pour le Livraddict Mag dont je vous parlerai ! Ce n'est certes pas le dernier polar qui se retrouvera sur ces pages, mais j'essaierai de changer un peu de thème pour la suite. Que ça ne vous rebute pas, pourtant : celui dont je vous parle ici est un véritable livre culte au temple du roman policier, alors suivez-moi parmi ses pages...


Résumé :

Sam Spade, détective privé à San Francisco, reçoit la visite d'une belle demoiselle qui lui demande de prendre en filature un homme qui aurait enlevé sa soeur. Le partenaire de Spade prend en charge ce travail facile, mais les deux hommes sont retrouvés assassinés quelques heures plus tard. La police soupçonne Spade, qui pour tirer son épingle du jeu doit découvrir les véritables motifs de sa cliente et se retrouve bientôt sur les traces d'un mystérieux faucon noir très convoité...

Mon avis :

Tout d'abord, une petite mise en situation : j'ai lu ce roman après avoir appris qu'il constituait une première dans le genre qu'il crée, celui du polar noir prenant pour héros un détective privé américain désabusé et cynique. Ce livre a été publié pour la première fois en 1930 et l'édition que j'ai empruntée à la bibliothèque date elle-même de 1977, un beau volume cartonné à la police énorme quelques années plus vieux que moi et parfaitement conservé, un petit bijou...

Sam Spade n'a été le personnage principal que de ce roman et de trois nouvelles, mais il est devenu une légende du genre polar en donnant naissance à un sous-genre souvent reproduit, celui du roman noir. Il a été interprété à l'écran par Humphrey Bogart, pas moins, dans un film devenu culte lui aussi, "Le faucon maltais". De nombreux auteurs, de Simenon à Hemingway ou Chandler, ont reconnu l'influence de ce roman sur leur propre oeuvre.

La première chose qui m'a frappée en entamant ma lecture, c'est le style narratif cinématographique. J'ai mis un certain temps à mettre le doigt dessus, mais, à peu de choses près, ce livre est écrit comme un scénario de film. L'auteur ne présente que les faits, les actes des protagonistes et leurs changements d'apparences, laissant au lecteur le soin de deviner leurs motivations et états d'esprit. Les descriptions sont minutieuses quand il s'agit d'éléments importants pour l'intrigue et inexistantes dans le cas contraire. Le résultat c'est un style froid, détaché, laissant une grande place au dialogue et proposant au lecteur un rôle actif, celui de deviner les raisons derrières les apparences et de reconstituer le décor.

Il est difficile de parler d'un style sans offrir au moins un petit exemple. Le mien sera en anglais, étant donné que c'est la langue dans laquelle j'ai lu ce livre. Il s'agit d'un passage où Spade rencontre un escroc du nom de Gutman avec lequel il négocie un arrangement pour retrouver et revendre le fameux faucon.
"Spade emptied his glass and set it on the table. He put his cigar in his mouth, took it out, looked at it, and put it back in. His yellow-grey eyes were faintly muddy. He said: 'That's a hell of a lot of dough'.
The fat man agreed: 'That's a hell of a lot of dough'. He leaned forward and patted Spade's knee. 'That is the absolute rock bottom minimum - or Charilaos Konstantinides was a blithering idiot - and he wasn't.'
Spade removed the cigar from his mouth again, frowned at it with distate, and put it on the smoking-stand. He shut his eyes hard, opened them again. Their muddiness had thickened. He said: 'The-the minimum, huh ? And the maximum ?' An unmistakable sh followed the x in maximum as he said it.
'The maximum ?' Gutman held his empty hand out, palm up. 'I refuse to guess. You'd think me crazy. I don't know. There's no telling how high it could go, sir, and that's the one and only truth about it.'
Spade pulled his sagging lower lip tight against the upper. He shook his head impatiently. A sharp frightened gleam awoke in his eyes - and was smothered by the deepening muddiness. He stood up, helping himself up with his hands on the arms of his chair. He shook his head again and took an uncertain step forward. He laughed thickly and mutterred: 'God damn you'."
Dans la suite de ce passage, Spade tente de sortir de la pièce, s'écroule sur le sol et se fait tabasser. Remarquez comme rien n'est dit, tout est suggéré : au début le seul signe de malaise vient du fait que Spade regarde par deux fois son cigar avec circonspection. Ses yeux deviennent petit à petit "muddy", boueux, sa prononciation s'altère. Pris par le dialogue, le lecteur ne se rend pas tout de suite compte que quelque chose cloche, et Sam comprend avant lui : "God damn you", dit-il à son hôte. A la fin du passage seulement, le lecteur se rend compte qu'il a été drogué via le whisky offert par Gutman, lequel avait juste avant passé un long moment à lui raconter l'histoire du faucon de Malte, probablement pour laisser à la drogue le temps d'agir. Mais absolument rien de tout cela n'est raconté ; c'est au lecteur d'interpréter, comme s'il regardait la scène dans un film.

Au niveau de l'intrigue, André Gide disait de Dashiell Hammett que ses dialogues, où chaque personnage essaie de tromper tous les autres et où la vérité devient lentement visible au travers du prisme du mensonge, ne peuvent se comparer qu'avec les meilleures oeuvres d'Hemingway. On ne pourrait mieux résumer mon impression. Tout le génie de Sam Spade est de nager comme un poisson dans l'eau au milieu d'une situation plus qu'épineuse, où son intelligence et sa capacité à tirer profit des situations les plus déspérées sont ses seuls atouts. Tout le monde est contre lui : la police, qui l'accuse du meurtre de son coéquipiter, sa cliente, qui lui ment sans répit, trois bandits sans scrupules à la recherche du faucon noir chacun de son côté... A plusieurs reprises, Spade se retrouve dans une situation dont on se demande comment il va se sortir, mais il sait si bien jouer ses atouts et manipuler sans trop en dire (le lecteur ne se rend compte que bien plus tard des pièges qu'il a évité) qu'il n'est jamais pris en défaut. La dernière scène, un huis-clos entre tous les principaux protagonistes, est un exemple de retournement de situation qui vaut son pesant d'or.

Je ne vous parle pas plus de Sam Spade lui-même, ce billet commence à prendre trop de ventre et j'ai déjà décrit le personnage dans l'article sur les meilleurs détectives du dernier Livraddict Mag. Pour résumer, cette oeuvre est le genre de polars qu'on lit non pas pour deviner le coupable avant le héros, mais pour suivre avec énormément de plaisir les tribulations du détective. C'est une véritable perle qui mérite sa notoriété, une oeuvre phare dans le genre polar, qu'à mon avis tous les amateurs se doivent d'avoir lu.


Pour en savoir plus :
- la page Bibliomania du livre
- la critique de Jeff (Youpinous) qui parle d'un "chef d'oeuvre du noir".

Note :
Je viens de recevoir un message intéressant de Mr Pierre Bondil que je vous transmets tel quel :
Votre texte est très bien et vous avez la chance (disons plutôt les connaissances nécessaires) pour lire en anglais. Malheureusement, ce n'est pas le cas de la majorité de vos lecteurs qui, si vous les avez convaincus, vont se précipiter sur la traduction infiniment contestable qui existe actuellement en Folio. Or, il en existe une nouvelle (entièrement nouvelle, ce n'est pas un replâtrage hâtif) parue en Série Noire en mai 2009 (cf pièce jointe). Et les cinq romans de Hammett sont tous reparus chez Gallimard en Quarto, là aussi dans une traduction également nouvelle signée des mêmes traducteurs. Je peux vous assurer, puisque je suis le "senior translator" de cette aventure, que la lecture de cet auteur y gagne beaucoup. D'ailleurs, vous pouvez vous en rendre compte par vous-même. Il n'est que de se reporter à la presse de ces 14 derniers mois. Peut-être serait-il bien que vos lecteurs en soient informés et n'aillent pas s'égarer dans une version du texte qui est désormais le témoignage d'une "mode série noire" dont l'intérêt est plus historique qu'autre chose. Je précise que la nouvelle traduction, en ce qui concerne "Moisson rouge", devrait paraître en Folio Policier en avril 2011.
Et de préciser que
"Pour l'instant, hormis en Quarto, seul "Moisson rouge" est disponible (Série Noire) dans sa nouvelle traduction et c'est ce titre là qui devrait paraître en Folio, en avril 2011. Pour les autres, il faudra attendre plus (un délai de six mois avait été envisagé entre deux parutions et l'ordre chronologique de parution aux USA devrait être respecté. Si tel était le cas, la parution de la nouvelle traduction de "Le Faucon maltais", en Folio policier directement devrait avoir lieu vers avril 2012...)."



Etant donné que je n'ai pas la possibilité de me faire mon propre avis sur cette nouvelle traduction ni d'ailleurs sur l'ancienne, je vous laisse juger ; mais apparemment, si vous souhaitez découvrir ces oeuvres, allez les chercher chez Gallimard en Quarto ou patientez un peu pour une meilleure traduction chez Folio...


 Challenge : 3/6

9 commentaires:

  1. Arf !! ça y est !! tu m'as eue !! je vais le mettre dans ma LAL, ah c'est malin d'être venue lire ton billet -très bien écrit d'ailleurs !

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  2. J'ai vu le film mais je n'ai pas lu le bouquin; apparemment il faudra que je m'y mette un de ces quatre.

    En suivant un des liens sur ton autre blog, j'ai vu que quelqu'un organisait un challenge (je crois que c'était le mot) Stephen King. Vas-tu le faire ? Il faut lire un livre et voir un film et c'est amusant parce que justement c'est ce que je viens de faire avec son Salem's Lot !

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  3. @Flof : désolée et merci ;)

    @Sanjuro : non je ne participe pas à celui-là, je dois déjà lire "Les tommyknockers" pour un autre challenge et il n'est pas à la bibliothèque, ça m'a refroidie... Je participe déjà à trop de challenges ;) Mais si tu souhaites toi t'y mettre, je peux te laisser une place sur ce blog, ou bien tu peux poster une critique sur le blog de Livraddict qui est ouvert à tous !

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  4. Hmm, proposition intéressante ! Il faudra que j'y réfléchisse.

    J'ai lu les Tommyknockers aussi, tiens. C'était mon premier Stephen King. Pas mal mais avec le recul je n'en garde pas un si bon souvenir. Le téléfilm lui était atroce.

    Tu auras du mal à trouver les King aux bibliothèques d'Helsinki, ils sont très demandés, c'est pour ca que j'ai acheté le mien d'occasion via un vendeur d'Amazon UK. On en trouve facilement de vieilles éditions pour un penny.

    Tiens, regarde:

    http://www.amazon.co.uk/gp/offer-listing/0450488357/ref=sr_1_2_olp?ie=UTF8&s=gateway&qid=1277232974&sr=8-2&condition=used

    Avec les taxes et les frais de port ca m'était revenu à 5,80€, moins cher que de le prendre chez Akateeminen.

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  5. Oups, trop long. Version courte:

    http://amzn.to/c8oLQl

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  6. Il est aussi à 6,28 euros sur BookDepository, frais de ports gratuits. Faudra que je l'achète un jour ou l'autre mais j'aurais préféré l'emprunter vu que je ne suis pas sûre d'aimer (le principe du challenge : se voir imposer deux livres qu'on n'aurait pas lu normalement par un autre participant...).

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  7. Nath j'adore ta chronique ! Elle est juste parfaite. C'est effectivement un classique et un pur régal. Quel plaisir de trouver en ces lieux une petite intervention de Mr Bondil dont je salue au passage l'excellent travail effectué sur les titres de Tony Hillerman et de sa série des Flics Navajos.

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  8. Merci El Jc ! C'est en effet un de ces titres qui méritent un commentaire à la hauteur :)

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  9. Je ne l'ai pas lu, mais j'ai Moisson Rouge qui m'attends dans ma PAL. Un grand classique à ce que j'ai vu.
    Et ton avis (très bon) me donne envie de mettre Le faucon de malte dans ma LAL.

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