18 février 2011

La vie immortelle d'Henrietta Lacks, de Rebecca Skloot

J'ai beaucoup de chances avec les partenariats :  je dois bien les choisir parce que je suis rarement déçue.  Ce qui arrive plus souvent, c'est que je sois étonnée par un livre que je pensais intéressant et qui s'avère plus riche que prévu.  C'est le cas de "La vie immortelle d'Henrietta Lacks".

Résumé :

En 1951, Henrietta Lacks, une jeune mère de famille noire du sud des USA, meurt d'un cancer du col de l'utérus particulièrement virulent. Avant sa mort, le médecin qui la soigne a prélevé, sans l'en informer, quelques cellules cancéreuses. Celles-ci vont non seulement être les premières cellules humaines à survivre en laboratoire, mais elles se multiplient à une vitesse phénoménale et semblent immortelles. Produites à grande échelle, ces cellules, nommées HeLa, serviront de matériau de recherche irremplaçable pour les laboratoires du monde entier, sans que personne ne sache de qui elles proviennent et sans que la famille d'Henrietta soit mise au courant.


Mon avis :

Ce livre se situe à mi-chemin entre le documentaire journalistique, la biographie et la vulgarisation scientifique.  En parallèle, on y découvre trois narrations distinctes.

Il y a tout d'abord l'histoire fabuleuse d'une lignée de cellules qui constituent un véritable miracle pour la recherche scientifique. Ces "HeLa" sont paraît-il connues de tous les biologistes du monde, qui les utilisent encore quotidiennement pour développer des vaccins, étudier leurs réactions dans de nombreuses situations (elles furent même envoyées dans l'espace !), les associer à des cellules animales, etc. Leur histoire est pourtant truffée de dangers autant que de succès.  Rebecca Skloot entreprend de nous raconter tous les tenants et aboutissants de cette aventure scientifique, dans un langage à la portée du lecteur non averti (croyez-moi, je fais partie de cette catégorie).  Elle prend aussi le temps de nous en décrire les principaux acteurs.  S'il faut parfois concentrer ses neurones pour bien suivre, ce n'est vraiment pas insurmontable, et la narration divisée en courts chapitres allège la lecture.  C'est absolument passionnant.

D'autre part, l'auteure développe également la biographie d'Henrietta Lacks, depuis son enfance jusqu'à sa mort.  Étant donné le titre, on pourrait s'attendre à ce que cette partie forme la grande majorité du livre ;  en fait c'est loin d'être le cas, car la vie d'Henrietta, outre le fait qu'elle a été écourtée par le cancer, ne présente rien de bien exceptionnel. Mais c'est la vie typique d'une femme noire descendante d'esclaves dans le sud des Etats-Unis peu de temps après la fin de la ségrégation raciale, et en tant que tel, c'est l'occasion de proposer une représentation de son milieu social.  Ce que l'auteure s'empresse de faire, frôlant au passage les thèmes du racisme, de la grande pauvreté, de la promiscuité et même de l'inceste.

Enfin, dans une troisième partie intimement mêlée aux deux autres, l'auteure raconte les recherches qu'elle a effectuées pour reconstituer l'histoire des cellules HeLa et d'Henrietta, et en particulier les étapes de sa rencontre avec les enfants et la famille d'Henrietta Lacks. Cette rencontre ne fut pas de tout repos, étant donné que la famille, très peu instruite, comprenant mal les tenant et aboutissants des recherches effectuées à leur insu et échaudée par de mauvaises expériences avec journalistes et profiteurs, était plus que méfiante à son égard.  Et on tombe là dans le côté très (trop ?) pathos de cette histoire : c'est au milieu du quart-monde américain que la journaliste se retrouve.  La famille Lacks oscille entre la violence et la crédulité absolue et Rebecca Skloot doit en apprivoiser les membres comme des animaux sauvages dont les réactions sont imprévisibles.  En-dehors de Deborah (et c'est peut-être pour ça qu'elle est mise en valeur), la réaction prédominante est assez déplaisante : "ce sont les cellules de notre mère, on veut de l'argent !".  Cette partie m'a mise mal à l'aise, je n'arrive pas à décider si il y a eu exagération ou condescendance de la part de l'auteure, ni à m'attacher au sort d'une famille difficile à comprendre.

Si le style n'en fait pas une œuvre littéraire inoubliable, c'est en tous les cas une lecture instructive et une information qui soulève des questions très pertinentes.  Jusqu'où va, et doit aller, l'éthique médicale et scientifique ?   L'historique des règles et abus dans ce domaines raconté par l'auteure nous prouve qu'il y eu un net progrès depuis l'époque d'Henrietta Lacks, mais un long chapitre final nous démontre aussi que tout n'est pas réglé. Henrietta se retrouve dans la position d'un laboureur qui trouve un trésor dans son champs, à la différence que seule, elle n'aurait ni découvert ce trésor ni été capable d'en profiter.  Des entreprises ont fait fortune en reproduisant et revendant les cellules HeLa, mais de façon générale, c'est surtout à la recherche pour le bienfait de l'humanité que ces cellules ont servi. Alors que faire ?  Comment empêcher les descendants d'Henrietta d'être si pauvres au point de ne pouvoir se payer le médecin ?  Et pourquoi eux uniquement ?  En quoi sont-ils plus méritants ?

Je me rends compte que j'ai été un peu longue, mais c'est parce que cette lecture aux multiples facettes mérite une présentation à sa hauteur.  Au-delà de la biographie très intéressante d'un personnage historique totalement méconnu, ce livre nous permet d'explorer des thèmes historiques ou très actuels, scientifiques et sociologiques, tous très instructifs et sujets à débat. En bref, une lecture très riche que je recommande.  Un grand merci aux éditions Calmann-Levy pour cette excellente découverte.


Pour en savoir plus :  
- l'avis de Lise sur le blog Livraddict, que je trouve particulièrement bien formulé.

3 commentaires:

  1. Contrairement à toi, les passages sur l'argent ne m'ont pas dérangé ; cette famille très pauvre est quand même éloignée de la célébrité et des bénéfices des cellules de leur mère/femme/grand-mère...
    Une phrase de ce livre à propos de ça m'a marqué (je l'ai d'ailleurs mise dans mon billet) : "Si notre mère est si importante pour la science, pourquoi est-ce qu'on a même pas le droit à être couverts par la Sécu ?"
    Il y a quand même une réelle injustice !

    Non, les passages qui m'ont mise mal à l'aise, ce sont plutôt ceux sur la religion, surtout vers la fin, où quasiment un chapitre entier est axé là dessus...

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  2. Comme je disais tellement bien avant que ma page internet n'affiche "Error", les passages qui t'ont gênés, moi ne m'ont pas dérangés.
    Je trouve naturel, qu'une famille pauvre comme les Lacks se sente lésée : on les ignore complètement alors que les cellules de leur mère/femme rapportent quand même d'immenses bénéfices !
    Une phrase m'a marquée (je l'ai même mise sur mon billet) : "Si notre mère est si importante pour la science, pourquoi est-ce qu'on a même pas le droit à être couverts par la Sécu ?"
    Je crois que ça résume pas mal la situation...

    Cependant, un aspect m'a aussi mise mal à l'aise : la religion, très présente en fin de lecture.

    (si jamais le premier commentaire a quand même été enregistré, tu n'aura qu'à prendre celui que tu préfères ! =p)

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  3. Je crois que tu résumes bien mieux que moi, ma propre impression de lecture ! :)

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