06 septembre 2011

Claudine à l'école, de Colette

Pour la première fois, j'accueille sur ce blog un nouveau contributeur: Sanjuro ! Voilà l'occasion d'élargir encore notre univers littéraire, à moi et vous lecteur... Bienvenue à lui !


Résumé :

Dotée d'une intelligence et d'une verve féroces, Claudine, quinze ans, indomptable, passe une année scolaire mouvementée dans son cher village de Montigny. La nouvelle institutrice, la bien nommée Mademoiselle Sergent, lui déplaît autant que sa relation ambiguë avec la jolie assistante. Mais heureusement celle-ci a une soeur, Luce, que Claudine se fera un plaisir pervers de martyriser. Quant aux messieurs, ils s'intéressent un peu trop à elle, mais ce n'est pas entièrement pour lui déplaire ! Avec tout ça, il faudrait quand même penser à préparer le brevet.


L'avis de Sanjuro :

A la lecture de La Chatte, il y a quelques années, je n'avais pas été vraiment séduit par le style de Colette. Son érudition de future académicienne et sa maîtrise de la langue y étaient évidentes mais l'histoire, celle d'un couple qui se froisse pour l'affection que porte le jeune homme à son animal fétiche, était peu intéressante et d'un maniérisme trop sec à mon goût. Mais parce que je gardais le souvenir lointain de ma mère évoquant avec délice des romans de Colette (ce dont elle n'eut pas l'air de se souvenir quand je lui en parlais récemment !), je décidai cette année de retenter ma chance, cette fois avec le premier livre de la série des Claudine.

Claudine à l'école se situe à l'autre bout de la carrière de Colette, au commencement, en 1900. C'est son tout premier roman, trente-trois ans avant La Chatte. Elle avait alors vingt-sept ans et ce qui, à mon avis, distingue foncièrement le style de Colette entre Claudine à l'école et La Chatte, c'est l'énergie de la jeunesse. C'est une jeune adulte, qui n'a pas encore appris à éliminer, au pire à déguiser, tous les vices qui lui restent de l'enfance: son narcissisme, sa méchanceté, son égoïsme. Elle écrit avec une apparente désinvolture et une honnêteté irrévérencieuse, emmenée par l'insolence inépuisable de cette adolescente géniale dont elle est le portrait.

Habilement, sa plume se moque, tourne en dérision et rit de plus belle de tout ce monde qui gravite autour d'elle, des instituteurs comme des camarades de banc (la grande Anaïs et Marie Belhomme, "bêbête, mais si gaie!"). Sur un ton réjouissant mais toujours recherché, elle enchaîne leurs descriptions, mordantes et désopilantes, arrachant au passage plus d'éclats de rire qu'aucun autre livre dont j'ai le souvenir. Pourtant, malgré toutes les pointes dont elle pique ses sujets, il y a aussi une affection cachée. Jamais elle n'en parle de front, cela aurait été mièvre et ridicule, mais on ressent bien la nostalgie douce-amère avec laquelle lui reviennent ses années d'école. Et on s'y retrouve aussi. Il y a beau avoir cent ans d'écart entre ses souvenirs et les nôtres, le chahut de la classe, les professeurs distraits, la préparation du brevet, sont des passages qui seront familiers à bien des anciens élèves.

A sa sortie, le roman fit scandale. C'est assez facile à imaginer vu le ton de l'ouvrage, mais la raison tient surtout à l'un des thèmes centraux qui est l'idylle entre un professeur et son assistante, toutes deux des femmes, qui se cachent à peine des élèves (sans oublier le délégué cantonal Dutertre, qui aime bien taquiner les jeunes filles). C'est assez étonnant à lire dans un roman à la frontière du XIXème et du XXème siècle, mais ces "nouvelles" moeurs sexuelles seront aussi observées dans les Claudine suivants.

Malgré son titre naïf qui pourrait le faire passer pour un livre imagé pour petites filles bien sages, Claudine à l'École est non seulement un roman adulte mais de surcroît une oeuvre littéraire à part entière; ce n'est pas La Guerre des Boutons, encore moins les souvenirs bon marché d'un Cavanna. J'ai adoré sa lecture et je ne taris plus d'éloges à son sujet. A mon humble d'avis d'illettré, il mériterait amplement sa place parmi les grands classiques français, mais vu la façon dont le corps enseignant y est dépeint, il y a peu de chances que cela se produise.

6 commentaires:

  1. Eh bien heureusement qu'il n'y a pas que le corps enseignant pour nous faire découvrir les classiques, alors ! ;)

    Je ne sais pas pourquoi mais quand je pense à Colette, j'ai l'image d'une plume rébarbative et d'une auteure largement démodée. Ce que tu écris sur ce roman me donne tellement tort qu'il faut que je me fasse une opinion documentée, il commence à être temps !

    RépondreSupprimer
  2. J'adore les vieux romans, ceux du XIXème siècle en particulier, et je dois t'avouer que je les trouve rarement démodés, alors il est possible que ce Claudine à l'école ne t'enthousiasmerait pas autant que moi. Mais tout de même, il a des qualités vraiment uniques celui-là. Je l'ai lu avec un grand sourire et un plaisir énorme du début à la fin. Je le lisais principalement durant ma pause au boulot cet hiver et je ne sais combien de fois il m'a fait rire. Je reprends rarement les mêmes livres mais lui je crois que je pourrais le relire sans problème. Elle a dû l'écrire avec une passion et une énergie qu'on ne met pas dans tous les livres, et je vois très bien comment ses souvenirs d'enfance lui ont donné la motivation de se lancer dans l'écriture de manière professionnelle. C'est comme une explosion de vie sur papier !

    Les Claudine suivants ne sont pas aussi brilliants, elle s'assagit bien sûr, mais ils sont bien sympas quand même; je suis en train de les lire. La Colette austère, c'est peut-être celle de La Chatte, une fois qu'elle est devenue une dame, plus âgée, moins drôle (qui sans doute été quelque peu désillusionnée par la vie aussi, j'ai l'impression).

    RépondreSupprimer
  3. Eh bien je viens de le commander à la bibliothèque, je reviendrai te dire ce que j'en ai pensé !

    RépondreSupprimer
  4. J'attends avec impatience de connaître ton avis, même si je crains que tu ne le trouves vieillot et pas si amusant. :P

    RépondreSupprimer
  5. J'ai terminé Claudine à l'école il y a quelques temps (je suis déjà à la fin de Claudine à Paris), et j'ai hésité à écrire moi-même une chronique, mais ce ne sera pas nécessaire parce qu'en gros je suis d'accord avec ce que tu y écris.

    C'est une grosse surprise pour moi ! C'est un étrange mélange de journal de gamine, de confessions de jeune fille sentimentale et de portrait d'époque. Et wow, la façon dont elle aborde clairement l'homosexualité et même la pédophilie ! C'est tout à fait immoral cette histoire, et même si elle (l'auteur plus que Claudine) en rajoute sûrement, j'ai eu l'impression de redécouvrir le début du XXème siècle sous son côté "coquin". Vraiment surprenant !

    Claudine est une vraie garce, mais elle est si entraînante que malgré l'époque je me suis sentie proche d'elle et tout le roman est difficile à lâcher. En fait, tout ça me rappelle le "Journal d'une femme de chambre" de Mirbeau (http://nath-pageapage.blogspot.com/2010/10/le-journal-dune-femme-de-chambre.html). Même époque, même façon de dévoiler sans pudeur l'envers du décor, pas la même plume mais même effet : plongée réussie dans une époque qui n'est pas la nôtre.

    Franchement, un énoooooorme merci pour m'avoir fait découvrir ça :)

    RépondreSupprimer
  6. Ouf, je suis soulagé que tu aies aimé et apprécié le style ! C'est stressant de voir l'extraordinaire là où les autres n'y voient que l'ordinaire. Tu finis par te demander si ce n'est pas ta propre appréciation qui est faussée après tout.

    Oui, j'avais remarqué ta critique d'une Journal d'une femme de chambre, je connaissais le livre de nom (à cause du film en fait, pas vu), peut-être que je serai tenté de le lire un de ces quatre, ou un autre roman du même auteur, par pure curiosité.

    Par contre, je ne trouve pas Claudine soit une vraie garce, elle est trop jeune pour ça, juste un beau diable. :)

    RépondreSupprimer