16 septembre 2011

Claudine à Paris, de Colette

Après le succès (et le scandale) rencontré par le premier livre, Colette se remit à l'écriture dès l'année suivante, en 1901, avec ce qui allait devenir le second volet d'une série de quatre courts romans à saveur autobiographique. Le nom de Claudine ressurgit une dernière fois, vingt ans après la publication du dernier volume, dans La Maison de Claudine (1922), mais uniquement pour faire le lien avec ce recueil de souvenirs cette fois intégralement autobiographiques.



Résumé :

Le papa de Claudine, cet extravagant monsieur, a soudain eu une idée géniale (soufflée par sa fille): "mettons tout dans des caisses et partons pour Paris !" Et les voilà désormais installés, en appartement, au coeur de la capitale. Pour Claudine, c'est l'occasion d'entrer dans le monde et surtout de faire la connaissance de Marcel, jeune homme précieux, trop précieux, et de son séduisant père. Mais la voilà qui commence déjà à regretter les bois de Montigny ! Le destin, plus ironique que jamais, lui enverra un rappel au détour d'une rencontre inattendue.


L'avis de Sanjuro :

L'aventure littéraire des Claudine ne fut pas de tout repos. Deux noms souvent revendiquent la qualité d'auteur sur la couverture et parfois même un seul des deux, qui n'est pas celui de Colette. Ce nom, Willy, est le pseunodyme de son mari d'alors, le satiriste populaire Henry Gauthier-Villars. S'il a (peut-être) le mérite d'avoir lancé la carrière de sa femme, il a surtout la honte de lui avoir volé le sien, en s'attribuant la paternité des livres qu'il publiait sous son nom seul, situation qui aura duré dix ans. Pour retrouver le droit de sa création, il en coûtera à Colette un divorce et un procès.

Dans Claudine à Paris justement, c'est sa rencontre avec Willy que Colette décrit. Renaud, le quadragénaire à la belle moustache, c'est évidemment lui, ce qui explique en même temps pourquoi on ne voit ce soi-disant rédacteur de La Revue Diplomatique qu'en présence de gens d'un goût douteux. Quant à Marcel, il est, comme dans la réalité, le fils d'un premier mariage. Homosexuel efféminée, il permet surtout à Colette de faire le portrait d'un type de personnage et de comportement qui la fascinent, fascination où s'exercent à la fois une attraction et un trouble.

La mystérieuse rencontre est un des moments forts du roman, et sans doute de la vie intime de Colette car on jurereait que cet épisode a vraiment eu lieu. On a l'impression qu'il en résulte une certaine rupture avec son enfance, avec les souvenirs de Claudine à l'école, qui la laisse libre d'entrer pleinement dans l'âge adulte, y compris ses mauvais côtés.

Un aspect agréable de cette suite est qu'on y fait la connaissance de nouveaux personnages de l'entourage de Claudine, comme la brave servante Mélie et le pusillanime Monsieur Maria, dont l'amour transi se fait rabrouer dans une scène drôlatique, mais aussi qu'on y redécouvre deux personnages qui n'avaient été qu'effleurés dans Claudine à l'école, son amusant père, plus grand que nature, et la chatte blanche Fanchette. Oui, avec une amoureuse de ses beaux félins comme Colette, la chatte, qui a désormais un petit nommé Limaçon, est un personnage à part entière. On peut en juger dans ce passage cocace qui décrit une certaine étape quotidienne de la vie des chats:

"Fanchette, heureuse fille, a pris gaiement l'internat. Elle a, sans protestation, accepté, pour y déposer ses petites horreurs, un plat de sciure dissimulé dans ma ruelle, et je m'amuse, penchée, à suivre sur sa physionomie de chatte les phases d'une opération importante.

Fanchette se lave les pattes de derrière, soigneuse, entre les doigts. Figure sage et qui ne dit rien. Arrêt brusque dans le washing : figure sérieuse et vague souci. Changement soudain de pose; elle s'assied sur son séant. Yeux froids et quasi sévères. Elle se lève, fait trois pas et se rassied. Puis, décision irrévocable, on saute du lit, on court à son plat, on gratte... et rien du tout. L'air indifférent reparaît. Mais pas longtemps. Les sourcils angoissés se rapprochent; elle regratte fiévreusement la sciure, piétine, cherche la bonne place et pendant trois minutes, l'oeil fixe et sorti, semble songer âprement. Car elle est volontiers un peu constipée. Enfin, lentement, on se relève et, avec des précautions minutieuses, on recouvre le cadavre, de l'air pénétré qui convient à cette funèbre opération. Petit grattement superfétatoire autour du plat, et sans transition, cabriole déhanchée et diabolique, prélude à une danse de chèvre, le pas de la délivrance. Alors, je ris et je crie : "Mélie, viens changer, vite, le plat de la chatte!""

Ce n'est certainement pas le Willy qui aurait écrit ça ! Si A Paris est moins bon qu'A l'école, c'est sans doute aussi sa faute, mais indirectement cette fois-ci. Lui et son fils ne sont pas des personnages aussi délicieusements amusants que ceux de Montigny, pas plus que ce monde, creusé de prétentions, que Claudine désormais fréquente. En somme, c'est la faute à Paris !

5 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ta façon de rédiger les chroniques, ton style est beaucoup plus recherché que le mien ! J'ai emprunté la série des Claudine en un volume à la bibliothèque, il m'attend, et j'ai hâte de comparer nos avis.

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  2. Merci :) c'était le seul point positif de la journée.

    De mon point de vue, ton style me paraît plus naturel et moins constipé que le mien, héhé ! J'ai l'habitude d'écrire de très longues critiques d'anciens jeux vidéo pour mon site, alors je suis assez bien rodé et passer aux critiques de livres finalement n'est pas si différent. Cela reste de la critique d'un objet créatif (j'ai envie de dire d'art).

    Mais ma grande frustration en ce moment c'est de ne pas pouvoir tout foutre en l'air pour écrire de la fiction. Ou peut-être juste écrire; écrire sur n'importe quoi mais écrire. Être toujours prisonnier de ceci et cela me tue.

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  3. Qu'est-ce qui t'empêche d'écrire ? Manque de temps ? Il n'est pas nécessaire de "tout foutre en l'air" pour ça. Courage en tous cas, dans cette passe difficile :s

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  4. C'est relatif à un de mes boulots en fait, qui me prend du temps, oui, mais surtout me vide de mon énergie tant il est intense. Le lendemain j'ai du mal à m'en remettre. Enfin, merci pour les encouragements. :)

    (Au fait, j'en ai parlé sur Twitter, mais si tu connais quelqu'un qui souhaiterait co-louer un appartment, fais-le moi savoir ! Je suis en pleine recherche.)

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  5. je ne songeais guère à la série des Claudine et sourtout Claudine à l'école avec Anais j'ai aimé et j'aime toujours

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