05 février 2012

The Case of Charles Dexter Ward, de H.P. Lovecraft

Quoiqu'à peine plus long que The Dream-Quest of Unknown Kadath, The Case of Charles Dexter Ward (L'Affaire Charles Dexter Ward, en français) est la seule oeuvre de HP Lovecraft considérée par tous comme un roman à part entière; les autres héritant d'appellations plus ambiguës comme "nouvelles longues" ou "romans courts". Mais qu'on ne s'imagine pas que cette singularité en invite d'autres: à part quelques bons moments, The Case of Charles Dexter Ward est une histoire assez datée, un peu plate même, sournoisement déraillée par une faute très naïve.



Résumé :

Charles Dexter Ward est ce qu'on pourrait appeler un jeune homme bien sous tout rapport. Sérieux, éduqué, il est passionné d'antiquités et de généalogie; imaginons-le comme une sorte de geek ou de nerd des années 20. Sa passion le conduit naturellement à s'intéresser à ses propres ancêtres. Au cours de ses recherches, il fait une découverte étonnante: un de ses aïeuls n'est autre que le mystérieux Joseph Curwen, un homme influent et étrange dont on ose à peine murmurer le nom à Providence et dont le passé semble avoir été volontairement oblitéré. La curiosité de Charles, piquée à vif, ne sera pas satisfaite avant d'avoir exhumé toute la vérité, quitte à ramener avec elle de bien terribles et mortels secrets.

L'avis de Sanjuro :

C'est la faute à la trame, mais une chose dérange à la lecture de cette histoire; c'est la difficulté pour le narrateur à se fixer sur un personnage précis, à trouver un héros. On commence par nous faire un portrait de Ward, qui au début du roman est interné dans un hôpital psychiatrique (non, pas à Arkham). Puis, un long chapitre de trente pages nous parle de Joseph Curwen, jusqu'à sa mort et la destruction remarquable de sa propriété. Après cela on revient à Ward, mais un Ward dont on n'a pas encore parlé jusqu'ici, le jeune homme adulte et saint d'esprit. Et lorsqu'on croit avoir enfin saisi le protagoniste, voilà que cinquante pages avant la fin, il nous échappe ! Un nouveau changement s'opère, et l'un des personnages secondaires, le Dr. Willett, prend la relève. Comme dans Kadath, le protagoniste manque de consistance, il est presque une ombre que Lovecraft n'arrive pas à remplir de sa propre présence.

Mais ce n'est pas cela qui nuit le plus à ce modeste roman. The Case of Charles Dexter Ward se termine par un coup de théâtre, une surprise qui est censée confondre le lecteur. Pour que cela fonctionne, Lovecraft doit préparer son coup longtemps à l'avance, vers la moitié du récit. Mais là, désastre retentissant, d'une ironie quasi-comique: durant toute cette phase, on devine immédiatement ce qu'est en train de préparer Lovecraft. C'est le magicien qui exécute son tour sans se rendre compte que tous les spectateurs peuvent voir le double fond. Il s'y prend avec une maladresse pitoyable, soulignant trop lourdement les détails révélateurs, au point que Ward senior et Willett passent pour deux incurables andouilles pour ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux, et que le lecteur, ce témoin distant, a lui parfaitement saisi.

Un long passage viendra tout de même consoler les amateurs de terreur lovecraftienne, lorsque le docteur explore l'ancien complexe souterrain de Curwen, dont l'accès reste longtemps une énigme. Là-dedans, sous terre, dans le noir, avec des cris de monstres comme bruit de fond, on sent paradoxalement Lovecraft bien plus à son aise. L'horreur y est tellement étouffante, tout en étant simultanément avare de sa présence que, quoiqu'on en dise, c'est le point culminant du récit.

Je me trompe peut-être en disant cela, mais en lisant The Case of Charles Dexter Ward, j'ai eu l'impression qu'il était assez fortement influencé par les romans populaires d'auteurs britanniques comme The Picture of Dorian Gray d'Oscar Wilde, ou Robertson et son Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, voire même Dracula (Ward y va de son petit séjour en Transylvanie). Le thème même ne ressemble pas vraiment à du Lovecraft, ou du moins à l'idée qu'on s'en fait, pas plus que la place accordée aux rebondissements. Au fond, cette histoire comme Kadath donne l'impression que Lovecraft ne s'est pas encore trouvé, n'ose pas encore embrassé complètement son propre style que l'on voit surgir par intermittence, comme les visions évanescentes d'un cauchemar. Mais c'est pour bientôt, dès l'oeuvre suivante, The Dunwich Horror, où l'auteur entre enfin de plain-pied dans un univers tout à lui.

5 commentaires:

  1. Alors, tu vas nous parler de The Dunwich Horror prochainement j'espère ? J'attends avec impatience que tu me fasses découvrir un Lovecraft que tu aies vraiment aimé !

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  2. Mais The Dunwich Horror (que je viens de finir de relire aujourd'hui en fait) n'est qu'une nouvelle d'une quarantaine de pages, alors je ne sais pas si ca a sa place sur ton blog. Autrement je compte faire la critique du recueil où elle se trouve quand je l'aurais fini, mais ce n'est pas pour tout de suite. Et puis même si The Dunwich Horror est meilleure que ses deux romans, elle a aussi ses fautes.

    Peut-être qu'au fond je n'aime pas tellement Lovecraft, juste son univers! (puisque j'y suis arrivé par d'autres médiums)

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  3. Je n'ai pas de règles pour ce blog, si tu as l'impression que cette nouvelle mérite une chronique à elle toute seule, n'hésite pas ! Mais la dernière phrase de celle-ci sonnait un peu comme un cliffhanger.

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  4. Le problème de Lovecraft c'est que c'est vraiment inconsistant d'une nouvelle à l'autre et qu'il faut toujours garder à l'esprit quand est-ce que ça a été écrit. Si on n'est pas un minimum indulgent et qu'on a déjà lu pas mal d'horreur "moderne", ça risque de tomber un peu à plat. Je n'ai pas encore fini de lire tout mon énorme recueil non plus, mais pour le moment c'est l'impression que ça me laisse. Après, tout comme Sanjuro, j'ai été amené à connaitre le Cthulhu Mythos par des élèments exterieurs à Lovecraft lui-même.

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  5. Oui, c'est pour ça d'ailleurs que je les lis dans l'ordre chronologique (dommage simplement que je n'ai pas le troisième volume, mais je vais peut-être bientôt réparer ça). Quant tu t'attaques à l'oeuvre intégrale d'un auteur, je crois de toute façon que c'est la meilleure chose à faire. Le style d'un écrivain et ses ambitions évoluent grandement au cours d'une vie.

    Peut-être que je me trompe, mais je soupçonne qu'en entrant dans les années 30 (j'en suis à la lisière), Lovecraft va devenir plus intéressant parce qu'il va aller plus à fond dans sa vision très personnelle de l'horreur qu'il n'ose pas encore embrasser pleinement. Malheureusement, c'est aussi dans ces années 30 qu'il est mort. :( Je crois qu'il n'aura pas eu assez de temps pour développer son mythe.

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