03 mai 2012

Quelques notions de droit d'auteur à l'usage des blogueurs


Vous ne le savez sans doute pas, mais dans la vie non-bloguesque, je suis chercheuse en droit dans le domaine du droit d'auteur (et de la vie privée, mais c'est une autre affaire).  Et dans ce cadre-là, je lis régulièrement des commentaires de blogueurs qui ignorent ou se méprennent sur ce qu'ils ont le droit de faire ou de ne pas faire en ligne, sur ce qu'ils ont le droit d'exiger concernant leurs propres écrits, ce genre de choses.  Parfois j'essaie de corriger (avec tact) ou de répondre aux questions, mais très souvent, la réponse fait partie du contexte plus large des droits d'auteur qu'il faut comprendre dans son ensemble. Alors je me dis que, dans un blog qui parle de livres et dans une blogosphère créative, un petit article sur le sujet sera peut-être le bienvenu.


Je vais essayer de rester très générale pour ne pas entrer dans les termes techniques ou les débats d'idées, et aussi parce que les détails varient de pays en pays. Si vous avez des questions plus précises, n'hésitez pas à les poser en commentaires.


Pour commencer par le commencement : qu'est-ce que le droit d'auteur et pourquoi existe-t-il ? 

Les droits d'auteur, c'est l'ensemble des droits que possède un auteur sur une œuvre qu'il a créée, le produit de son imagination. Ce système est accompagné de ce qu'on appelle les "droits voisins" et qui protègent d'autres types d'oeuvres ne rentrant pas strictement dans les oeuvres protégées par le droit d'auteur en tant que tel (par exemple : les bases de données), ou qui accordent des droits un peu similaires mais à d'autres personnes que l'auteur lui-même (par exemple, à son éditeur).

Pour qu'une société puisse produire de la culture, il faut que les artistes et les créateurs aient de quoi vivre.  La société a alors deux possibilités : soit rémunérer les créateurs via un système de subsides, soit laisser mettre les oeuvres de création sur le marché et leur accorder une valeur pour que leurs auteurs puissent les vendre et en obtenir un profit. C'est la deuxième solution qui a été choisie dans la plupart des pays du monde. Le problème c'est qu'une oeuvre de création est souvent facile à reproduire. Alors le droit d'auteur protège non pas un objet, mais une idée. C'est un droit de propriété : l'auteur possède l'idée (du livre, de la chanson,...) et il peut la vendre, la montrer à tout le monde, la donner gratuitement, ou la "louer". Mais si on lui pique son idée, c'est du vol (= violation des droits d'auteurs).


Qu'est-ce qui est protégé par le droit d'auteur ?

Voilà bien une question à propos de laquelle beaucoup de monde se trompe !  Ce qui est protégé, c'est tout simplement tout ce qui est le produit d'une création originale, en d'autres termes, tout ce que vous inventez. On appelle ça une oeuvre, celui qui l'a créée est son auteur. Ça peut être un texte, de la musique, de l'art, une vidéo, un programme informatique, mais aussi la mise en page de votre blog,  ou son code HTML créé par vos soins, par exemple. Une photo peut aussi être protégée parce qu'elle reflète la réalité mais il y a une marque de son auteur qui a choisi le cadre, le sujet, etc. Le critère c'est l'originalité, le fait que personne ne l'ait fait avant vous et que vous y aillez mis votre propre "touche".  Par contre, une idée n'est pas protégée en tant que telle ; elle droit être mise en forme (le texte doit être écrit pour être protégé, par exemple).

Contrairement a ce que beaucoup pensent, il n'est pas nécessaire d'identifier votre droit sur une oeuvre pour qu'elle soit protégée. Pas besoin d'indiquer "ceci est soumis aux droits d'auteurs", pas besoin de petit (c), ni de marque d'aucune sorte ; ce que vous créez est automatiquement à vous.  Quand il y a un procès, tous les moyens sont bons pour prouver quelle a été la personne qui a créé l'oeuvre en premier, et c'est à elle que reviendront les droits.

Une autre idée fausse est qu'une fois qu'on rend son oeuvre publique, par exemple en la publiant sur internet, elle vous échappe. C'est faux : quel que soit le nombre de personnes avec qui vous la partagez, et où que ce soit, elle est toujours à vous. Évidemment, contrôler vos droits devient plus difficile, mais c'est une autre affaire dont on parlera plus loin.

En résumé : vous avez l'idée d'un billet de blog. Rien ne se passe. Vous l'écrivez : le contenu du billet vous appartient. Vous le publiez en ligne : il est toujours à vous. Même si vous n'avez noté nulle part que vous souhaitez être propriétaire de ce billet, vous l'êtes ; même si vous le mettez sur internet et dix mille personnes le lisent, même si tous ces gens l'impriment et il y a dix mille copies de votre superbe article, l'idée est toujours à vous. Et c'est la même chose pour tout ce que vous avez créé, du design de votre blog à vos logos et bannières.

Petite parenthèse : en créant quelque chose de nouveau, il est possible que vous utilisiez une oeuvre déjà créée par quelqu'un d'autre et si vous le faites sans sa permission, vous violez ses droits. Ce sera le cas par exemple si vous prenez une photo d'une peinture : vous avez les droits sur la photo mais le peintre a les droits sur la peinture.  Même chose si vous réutilisez une image pour faire un montage, un logo ou une bannière. Faites attention.


Quels sont les droits des auteurs ?

Là on est déjà en terrain un peu plus glissant, car le système des droits d'auteurs est largement harmonisé par des conventions internationales, mais il reste légèrement différent de pays en pays.  Alors en gros, il y a deux types de droits : les droits moraux et les droits patrimoniaux (de patrimoine, argent).

Les droits patrimoniaux, ce sont les droits de propriété comme ceux de la propriété d'une voiture :
- le droit de la vendre (vous pouvez vendre votre droit d'auteur sur votre billet de blog à un éditeur par exemple ; il vous paie une somme d'argent et a le droit de publier votre travail et récolter tous les profits)
- le droit de la louer (l'éditeur publie le texte et vous reverse une partie des profits au fur et à mesure)
- le droit de la garder pour vous (dans ce cas personne n'a le droit de recopier votre texte ou de l'utiliser pour se faire de l'argent)
- le droit de la donner à quelqu'un.

Petite parenthèse sur ce dernier droit : vous avez la possibilité de "donner" votre billet à tout le monde, de le rendre public. Vous pouvez dire : "ce billet / cette image / ce logo, etc, je ne compte pas le vendre et je n'ai pas besoin de le garder pour moi, alors n'importe qui peut l'utiliser, amusez-vous". Et ceci peut aussi se faire aux conditions que vous souhaitez : "je laisse à n'importe qui le droit de recopier ou diffuser mon billet à condition qu'il me cite comme auteur", ou "à condition qu'il ne l'utilise pas pour une activité commerciale", ou "à condition qu'il ne soit pas modifié", etc. Tout est possible. Si les conditions que vous avez décidées ne sont pas respectées, ça reste du "vol", vous ne perdez pas vos droits. Pour faciliter ce genre de cas, les Américains ont inventé le concept de "creative commons" ("la propriété créative commune", le site est aussi en français) ; ce sont en quelque sorte des contrats pré-rédigés auxquels les auteurs peuvent faire référence. Au lieu de vous casser la tête à inventer les conditions qui vous conviennent et à imaginer tous les cas de figure possibles pour éviter de faire une bourde, vous n'avez qu'à choisir le contrat (ça s'appelle une licence) qui vous convient le mieux et y faire référence. Ca permet de partager le contenu, de faire circuler les idées, sans se fatiguer. Pensez-y.

Mais le droit d'auteur est un peu différent de la propriété habituelle, parce qu'il porte sur un objet qui est intimement lié à votre personnalité : vos idées. Les voler, les déformer, c'est vous faire du mal à vous (tandis que casser votre voiture, ça ne remet pas votre personnalité en question). Alors les auteurs, par rapport aux propriétaires normaux, ont aussi des droits moraux sur leur œuvre.  Ils concernent généralement le droit de se voir reconnaître comme auteur ("droit de paternité", son déni est le plagiat), le droit de ne pas voir l'oeuvre déformée, le droit de repentir (de changer d'avis et d'effacer l'oeuvre), etc. Contrairement aux droits patrimoniaux, on ne peut pas vendre ni renoncer aux droits moraux, et il n'y a pas de limite temporelle, ils vous appartiendront toujours.


Quels sont les limites aux droits des auteurs, autrement dit les droits des utilisateurs ?

Ici aussi, ça varie de pays en pays, mais je vous en présente trois qui se trouvent dans la plupart des législations nationales et qui vous intéresseront particulièrement en tant que blogueur ou écrivain :

- le droit de copie privée : vous avez le droit de copier une oeuvre protégée par le droit d'auteur pour votre propre utilisation personnelle, sans la rendre publique (ou la donner, la prêter, etc).  Pour un article de blog par exemple, le lecteur a le droit de l'imprimer pour le lire dans son lit, ou le sauvegarder sur son ordi pour le relire quand il n'est pas en ligne. Mais pas plus.

- le droit de citation : n'importe qui a le droit de recopier un extrait (une partie si petite qu'elle n'est pas significative par rapport à la taille du tout) d'un texte publié pour le citer dans un contexte approprié.  Vous avez le droit de mettre un extrait d'un livre dans votre chronique à propos de ce livre, par exemple, et quelqu'un d'autre aura le droit de recopier un extrait de votre chronique pour la critiquer ou la révérer.

- le droit de parodie : vous avez le droit de reprendre un texte (ou une image) pour en faire quelque chose de comique.  La limite entre une copie illégale et une parodie est un peu plus difficile à apprécier, c'est un juge qui décidera en cas de conflit, méfiez-vous.


Et en pratique ?

Ah ah, voilà la vraie question.  En gros, quand vous allez sur le net pour chercher et réutiliser une image, un texte ou une présentation de blog, par exemple, vous n'avez le droit de le faire que dans les cas où :
- soit l'auteur a indiqué clairement que vous en aviez le droit (par exemple en indiquant une licence "creative common" mais aussi simplement en l'écrivant avec ses mots). Il existe des sites qui recensent ce genre de contenu libre.
- soit il vous en a donné la permission personnellement (on appelle ça "une licence"), parfois contre rémunération. Pas besoin de contrat en bonne et due forme, mais assurez-vous que vous avez une façon de le prouver par la suite si besoin est.
- soit le contenu est tombé dans le domaine public, c'est à dire qu'il est tellement ancien qu'il n'est plus protégé par le droit d'auteur. Le temps qu'il faut pour ça est de l'ordre de 50 à 70 ans (parfois après la mort de l'auteur). Ça varie énormément et c'est très difficile à calculer, ne vous fiez qu'aux sites officiels pour ça (comme les sites des bibliothèques). 

Et ceci vaut pour tout ce que vous créez vous aussi. 

Maintenant, tout le monde sait que l'internet est une jungle. Contacter un auteur pour obtenir sa permission, voire retrouver l'auteur original d'une oeuvre publiée largement, est souvent difficile voire impossible. D'autre part, un auteur qui trouve son travail reproduit sans sa permission sur un blog au fin fond de la planète ne va pas nécessairement engager des poursuites judiciaires tout de suite ; il va sûrement demander qu'on retire l'oeuvre.  Ca dépend aussi de ses capacités financières, et de ce que vous, vous faites de son travail (si vous vous faites de l'argent sur son dos, il sera moins clément). 

Au vu de tout ceci, je ne vous conseille qu'une chose : sachez ce que vous avez le droit de faire et dans la mesure du possible, évitez le reste.  Si vous êtes la victime d'une violation de droits d'auteurs, demandez d'abord que la violation cesse. En deuxième recours, si le tribunal n'est pas à votre portée ou n'en vaut pas la peine, utilisez plutôt l'arme de l’opprobre publique, c'est très efficace sur le net et dans la blogosphère... 

Désolée pour ce long billet, mais j'espère que vous y trouverez des informations utiles. N'hésitez pas à poser des questions en commentaires, j'essaierai d'y répondre !


16 commentaires:

  1. Merci pour toutes ces infos Nath :)
    (bon, je ne suis pas assez célèbre pour être copiée encore =D et mon livre n'est pas sorti !! )(d'ailleurs il n'est pas écrit non plus :P )

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  2. Eh mais le jour où c'est le cas, tu m'engageras comme conseillère juridique `? :P

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  3. Super! Voila qui vient de mettre a plat le vrai du faux. Bon, ça va la plus par des choses j'étais au courant, ça ne m'a pas empêché d'apprendre "il y a deux types de droits : les droits moraux et les droits patrimoniaux" par exemple et des petits trucs.

    J'ai une question, est ce que les reprises musicales sont incluses dans la parodie (enfin, je ne parle pas de reprise parodié, mais de vrai reprise à sa façon, donc dans un style différent ou repris équivalent en tout point)? Sinon est-ce possible de les reprendre sans demander un accord? Faut-il payer des droits si on fait une reprise en concert etc?

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  4. Merci Nath :). C'est plus clair dans ma tête maintenant !

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  5. @Nora : a priori les reprises musicales ne sont pas de la parodie, il faut donc la permission (licence) de l'auteur, ou plutôt des auteurs originaux (auteur du texte et auteur de la musique). Et ça, même si c'est repris dans un style différent. Obtenir une licence signifie généralement payer des droits. En pratique, les droits sont collectés puis redistribués par une ou plusieurs organisations qui ont des accords entre elles au niveau international : la SACEM en France, la SABAM en Belgique, et pour la Finlande les infos sur par ici : http://www.minedu.fi/OPM/Tekijaenoikeus/oikeuksien_hallinnointi_ja_hankinta/?lang=en

    Voilà :)

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  6. Un grand merci pour ce très clair billet récapitulatif ! Globalement je suis au courant de tous ces points puisque j'ai fait mes études et je travaille dans le milieu des bibliothèques mais c'est toujours très agréable de pouvoir lire un billet aussi synthétique et qui ne s'embarrasse pas de multiples termes techniques ! :)

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  7. Pour la reprise musicale c'est particulier. On peut reprendre des chansons comme on veut (si on ne les modifie pas, bien sûr). Mais ça implique verser des droits à la SACEM ou équivalent.
    J'avais vu justement Cabrel râler à ce sujet voir le lien en dessous.

    http://saceml.deepsound.net/archives/archi53.html


    Maintenant, c'est probablement différent dans le cas de chansons qui ne sont pas dans le répertoire de la SACEM

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  8. @Renan : merci pour cette précision et pour le lien ! Apparemment adhérer à la SACEM signifie renoncer à pouvoir interdire une reprise de ses oeuvres, je l'ignorais ! Ceci dit l'auteur va quand même toucher les droits, donc sauf dans des cas très spécifiques ou il y a concurrence directe entre l'auteur original et celui qui reprend la chanson, c'est quand même tout bénef pour l'auteur original.

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  9. Un GROS problème avec un des postulats du billet : ce que est protégé n'est pas l'idée en elle même, mais l'expression de cette idée.

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  10. Ouaip, je t'embauche Nath, sans problème !!!

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  11. @TheSFReader : ce n'est pas un postulat, c'est une simplification pédagogique, pour faire comprendre la différence entre l'objet immatériel protégé et ses copies, ce qui m'a semble être un sujet de malentendus pour beaucoup de monde. Je précise plus bas que l'idée n'est protégée que si elle est mise en forme.

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  12. Oui, c'est vrai. Mais c'est justement cette mise en forme qui est protégée il me semble.

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  13. Vraiment intéressant, et ça répond à pas mal de questions que je me posais, merci !

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  14. Merci Nathalie pour cet article intéressant !

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  15. Je n'ai pas grand chose à dire, mis à part un petit commentaire pour te dire merci pour cet article très intéressant :)

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  16. Maintenant j'en sais un peu plus. Il y a un petit moment, j'avais remarqué qu'un site reconnu me pompait littéralement mes articles me volant ainsi tout mes lecteurs puisque sa renommée était supérieure à la mienne. Un e mail aura suffi à stopper leur piratage!

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