17 avril 2013

Kampuchéa, de Patrick Deville


Connaissez-vous le Cambodge, ce beau pays à l'histoire très particulière ?


Résumé :

"De la découverte fortuite des temples d'Angkor par le naturaliste Henri Mouhot, en 1860, jusqu'au procès de Douch et des Khmers rouges, nous voici raconté un siècle et demi de l'histoire du Cambodge. Avec le secours de Conrad, Malraux, Loti et d'autres grands écrivains voyageurs, le narrateur remonte le fleuve Mékong et l'Histoire tragique d'un pays qui se rêvait le Paris de l'Extrême-Orient."
(quatrième de couverture)


Mon avis :

 J'ai croisé ce livre dans une librairie au mois de décembre, un mois après être revenue de vacances en Asie où nous avons passé quelques jours au Cambodge. J'avais été charmée par ce pays magnifique (du peu que j'en ai vu) et par son histoire tout à fait extraordinaire, de la civilisation Khmère conquérante jusqu'aux Khmers Rouges qui ont assassiné le tiers de la population du pays. J'avais très envie d'en savoir plus et ce petit livre sur le Cambodge s'annonçait comme un livre d'histoire romancé, appuyé par les textes de grands écrivains et voyageurs, tout ce que je recherchais.

Eh bien, ce n'est pas la première fois qu'une quatrième de couverture m'a (involontairement) trompée. Ce roman n'est pas un livre d'histoire, ce n'est même pas vraiment un roman; c'est une narration saccadée qui mêle l'histoire du pays, les récits (narrés, pas cités) des "découvreurs" européens, et l'histoire personnelle de l'auteur. Il n'y a pas d'ordre chronologique ni d'intrigue à suivre, ou quasiment pas : il y a juste une trace de progression dans le temps quand il s'agit de l'histoire des Français célèbres pour leurs voyages au Cambodge, mais ces récits sont entrecoupés d'aperçus de toutes sortes d'autres périodes, notamment celle (presque) contemporaine du procès de Douch. Il est aussi possible qu'il y ait une sorte de logique géographique, mais moi qui n'y connais pas grand-chose dans la géographie de l'Asie du Sud-Est, ça m'est passé largement au-dessus de la tête.

Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est un livre désagréable à lire : j'ai beaucoup aimé la plume, sa façon de mettre en scène un épisode historique en traçant en quelques mots les faits essentiels et en les garnissant de nombreux détails qui créent une atmosphère. Il y a aussi quelques phrases clés qui servent de fil rouge récurrent, toujours bien placées.  La plus remarquable est "On ne choisit pas son affectation", dont le sens littéral (dans le milieu de l'armée) est étiré pour représenter le destin involontaire de plusieurs personnages historiques. 

Mais en réalité, loin d'un roman qui pourra vous éclairer sur l'histoire du Cambodge si vous ne la connaissez pas, c'est presque un livre d'images qu'il faut parcourir avec une carte dans une main et une encyclopédie historique dans l'autre. Les belligérants ne sont pas présentés, les traits généraux de l'histoire sont censés connus. Si pour certains passages il n'est pas nécessaire d'en savoir plus pour comprendre, pour d'autres c'est absolument nécessaire, comme le suivant :
"La colonne siamoise partie guerroyer au nord contre les bandes chinoises des Pavillons jaunes redescend en catastrophe vers Luang Prabang avec les trente otages qu'elle vient de capturer. Talonnée par ses poursuivants, elle abandonne la ville pour gagner Bangkok. Les Chinois ont pris le carrefour de Muong Theng que les Vietnamiens appellent Diên Biên Phu, et plus rien ne s'oppose à leur déferlement. Dans l'impossibilité de libérer leurs otages, les Pavillons font savoir au roi Oun Kam qu'ils viennent encaisser le tribut que Luang Prabang a omis de verser depuis des années au Céleste Empire, et demandent le trésor royal."
Qui sont les Pavillons jaunes, où se trouve Luang Prabang et Muong Theng, pourquoi les Chinois attaquent-ils ? Mystère...  Au final, je ressors de cette lecture avec plein d'images en tête mais incapable de les relier entre elles, et je n'ai pas la moindre idée de l'Histoire du Cambodge, à part quelques noms placés ici où là. D'autant plus que malgré son titre, ce "roman" s'étend bien plus loin que le Cambodge : la Thailande, le Laos et le Vietnam y ont aussi une grande place.

Un autre aspect que j'ai regretté, c'est la façon qu'a l'auteur de se mettre en scène tout au long des pages. Partir de sa propre expérience d'un endroit pour en raconter l'histoire, pourquoi pas, prendre ses souvenirs comme repères temporels (encore une phrase récurrente : "Une vie d'homme de durée moyenne est un bon instrument pour mesurer l'Histoire"), d'accord. Mais était-il nécessaire d'étaler son expérience de grand reporter qui était dans tous les endroits importants du globe sur les traces des personnes qui ont changé l'histoire - personnes dont personnellement je n'avais jamais entendu parler, mais que l'auteur ne juge même pas nécessaire de présenter ?  Comme dans ce passage :
"Assis au bar, devant un carnet, je calcule que le dimanche de Pâques de 1998, l'année où Khieu Samphân dans cet hôtel se repent, ou feint de se repentir, j'ai quitté le Nicaragua pour l'Uruguay où j'ai retrouvé par hasard une photographie de Baltazar Brum, à Montevideo, celle où on le voit quelques secondes avant son suicide, un Smith & Wesson dans chaque main. Comme si le suicide d'un homme seul pouvait enrayer un coup d'Etat."
Voilà donc un livre bien écrit, un roman d'atmosphère, presque une collection de cartes postales, mais pas un roman didactique, pas la narration d'une histoire linéaire. Je ne peux pas dire que je me sois ennuyée (et les chapitres très courts permettent d'espacer la lecture), mais ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais. De plus, l'omniprésence de l'auteur/narrateur et un soupçon d'arrogance de sa part m'ont légèrement agacée. Résultat : je suis toujours à la recherche d'une histoire (romancée ou non) du Cambodge agréable à lire, des suggestions ?


Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- acheter le livre sur Amazon

4 commentaires:

  1. Difficile de condenser l'histoire de ce pays dans une seul roman je pense... Depuis que je suis rentrée du Cambodge, je lis surtout sur la période Khmer rouge pour ma part (L'élimination, Le silence du bourreau, une chouette BD de Tian, D'abord ils ont tué mon père..) mais je comprends qu'on n'ait pas envie de commencer par là. Celui-ci m'attend également et personnellement je préfère ce genre de récit qu'une histoire romancée donc ça devait me plaire (à part l'arrogance...)

    RépondreSupprimer
  2. ps : ne jamais se fier aux 4ème de couv ! :)

    RépondreSupprimer
  3. Ca ne me dérange pas de commencer par la période Khmer Rouge, j'imagine bien que c'est celle sur laquelle il y a le plus de littérature et je suis vraiment curieuse de savoir comment une telle horreur a pu avoir lieu. Merci pour les références ! En ce qui concerne l'arrogance, c'est une impression personnelle, j'ai toujours du mal avec les auteurs qui se mettent en scène. Bonne lecture :)

    RépondreSupprimer
  4. Pour le coup, les références que je t'ai donné, ce sont des témoignages. Je crois qu'il y a peu voire pas de romans sur le sujet

    RépondreSupprimer