Aujourd'hui je vous présente un petit livre très gris, et un auteur dont vous entendrez encore parler sur ce blog...
En 1917, dans une petite ville française proche du front, la guerre n'empêche pas la vie de continuer, malgré les blessés qui affluent vers l'hôpital. Le juge, le policier, le maire, tout le monde joue son rôle, encore défini par les classes sociales. Jusqu'au jour où on retrouve le cadavre d'une petite fille, assassinée et jetée dans un étang, juste à côté du château ou vit le Procureur, un homme froid et reclus. La victime, tout le monde la connaît : c'est la mignonne Belle de Jour, la fille de l'aubergiste. Le mystère de sa mort est l'occasion pour cette petite ville de faire face à la noirceur des âmes qui la peuplent.
Mon avis :
Décidément, j'ai une très mauvaise mémoire. Malgré Bibliomania, la bibliothèque virtuelle de Livraddict, j'avais complètement oublié que j'avais déjà lu un livre de Philippe Claudel : La petite fille de Monsieur Linh. J'ai aussi oublié comment celui-ci est arrivé dans ma wishlist, ce qui a amené un Père Noël bienveillant à le glisser dans sa hotte. Et en plus de ça, l'été passé, j'ai acheté trois autres livres de Philippe Claudel, sans que ce nom ne me rappelle quoi que ce soit, uniquement parce que je les avais feuilleté et que je trouvais le style très agréable. Du coup je me retrouve avec cinq livres de cet auteur dans ma bibliothèque (plus un double !), et cette fois-ci je n'oublierai plus son nom.
Cette histoire, j'ai mis longtemps à la lire, pour une très mauvaise raison : je suis trop sensible. Ce n'est pas long, mais qu'est-ce que c'est noir ! Pas noir-glauque, plutôt noir-pesant. Une atmosphère sombre, pleine de tristesse et de mélancolie. Et comme c'est superbement décrit, il est difficile de ne pas se laisser emporter par l'émotion.
Il faut dire que cette histoire est pleine de morts, présents et futurs. Parmi les morts que l'on vit "au présent", il y a d'abord la cohorte des soldats. Comme la ville est tout prêt du front, on y vit l'horreur de la guerre de très près : en plus des morts "locaux", les soldats de la ville partis à la guerre et dont beaucoup ne reviendront pas, il y a les nombreux soldats défigurés, mourants, handicappés qui sont emmenés à l'hôpital, et les déserteurs qui représentent l'horreur des combats plutôt que la lâcheté. Il y a aussi, au présent, la mort de la petite Belle bien sûr, mais aussi celle de deux autres personnages importants qui vont encore plomber l'atmosphère. Et comme si ce n'était pas assez, il y a en plus les morts du futurs ; car l'histoire est écrite plusieurs années après les faits et le narrateur n'hésite pas à raconter ce qu'il advient des différents personnages / témoins, ce qui se termine assez souvent par un décès.
Cette forme de narration, pleine de bonds en avant dans le temps (comment s'appelle le contraire d'un flashback ?), est parfois un peu décousue. Mais je n'ai pas du tout trouvé que c'était un défaut, bien au contraire : ça donne une certaine profondeur chronologique à cette histoire, puisqu'elle ne commence pas à la mort de la petite Belle pour se terminer à la fin de l'enquête (une semaine plus tard). En réalité, elle commence bien avant, dans le passé de certains personnages qui sont un peu plus développés, et continue bien après, dans le futur d'où le narrateur raconte l'histoire. Et puis un autre avantage à mes yeux, c'est que ça m'a permis de prendre un minimum de distance avec les faits : les digressions du narrateur donnent souvent une idée des événements à venir, permettent de deviner les pires "catastrophes", et c'est à peu près la seule chose qui m'a permis de me préparer pour ne pas les prendre trop à coeur.
Car la narration est captivante, au sens qu'il est impossible de s'en détacher. La plume de Philippe Claudel, qui prend pour l'occasion un petit ton désuet, est très, très efficace quand il s'agit de nous faire vivre les états d'âme du narrateur et des autres témoins. Tout le coeur de cette histoire est là : dans la profondeur des personnages, qui ne sont pour la plupart ni entièrement bons, ni tout à fait méchants, ni parfaitement moraux, ni tout à fait dénués de scrupules. Des "âmes grises", comme dit le titre, mises à l'épreuve de la guerre et du deuil. C'est très très fort, très pesant, mais aussi très très beau.
Bref, je ressors de cette lecture particulièrement émue, et avec une joie particulière à l'idée d'avoir encore trois autres romans de cet auteur à dévorer !
Pour en savoir plus :
- la fiche Bibliomania du livre
- l'avis de Maghily, qui contrairement à moi n'a pas été particulièrement touchée, et celui de Nelfe, pour qui "Les âmes grises" et une merveillle.
- acheter ce livre sur Amazon.
Je ne trouve pas que le degré de sensibilité soit une mauvaise raison d'avoir du mal à lire, d'autant que ça varie avec le temps (enfin chez moi). Je n'ai pas réussi à lire Les Âmes grises intégralement (j'ai sauté des pages) pour les mêmes raisons, et je ne finirai probablement jamais Les Bienveillantes...
RépondreSupprimer@Anna, ça me fait un peu peur, ça : Les Bienveillantes m'attend(ent) dans ma bibliothèque :s Je choisirai bien mon moment !
RépondreSupprimerPas mal, effectivement, ce roman... Je te conseille Le Rapport de Brodeck, du même auteur (peut-être est-il dans ta bibliothèque!)
RépondreSupprimerEh oui, il m'attend :D
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