Quand on a parlé du décès du prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez, j'ai jeté un oeil dans ma bibliothèque pour vérifier ce que j'avais déjà lu de lui. Il y avait "Chronique d'une mort annoncée" que j'ai beaucoup aimé mais que je n'ai bizarrement pas commenté, et puis "L'amour aux temps du choléra", que j'avais commencé et arrêté pour je ne sais quelle raison. Alors j'ai repris cette lecture, qui s'est avérée bien différente de ce à quoi je m'attendais !
Quelque part dans les Caraïbes, le docteur Juvénal Urbino découvre le suicide d'un ami qui avait décidé de ne pas affronter la vieillesse. Cet évènement le renvoie à son propre âge avancé, à celui de son épouse Fermina Daza et à leur long mariage qui n'a pas été sans difficultés. Il ignore que dans la même ville, un autre homme attend sa mort pour retrouver celle qu'il aime depuis plus d'un demi-siècle.
Mon avis :
Je dois dire que j'ai été surprise par ce roman dont je ne connaissais que le titre. Le début concerne avant tout la mort de Jeremiah de Saint-Amour, adversaire aux échecs et ami de Juvénal Urbino, qui laisse comme testament une longue lettre de révélations. Le docteur Urbino semble très affecté à la lecture de cette lettre et elle semble contenir de lourds secrets ; je m'imaginais donc que le roman allait se développer sur ce thème. Et puis non ; on ne découvre qu'un secret qui ne m'a pas paru vraiment justifier le choc du docteur, et ensuite l'intrigue se recentre autour de Juvénal Urbino, Fermina Daza et l'homme qui l'aime depuis toujours, Florentino Ariza. Avec sa construction en aller-retours entre les personnages et entre le passé et le présent, j'ai envie de décrire ce roman comme une série de digressions.
Ensuite, après avoir lu le livre mais avant de rédiger cette chronique, je suis allée sur Wikipédia pour récolter quelques informations... et j'ai été à nouveau très surprise : tous les résumés de l'intrigue semblent se centrer sur une seule histoire d'amour, celle de Fermina Daza et Florentino Ariza (je reprends à chaque fois le nom et le prénom car c'est ce que fait l'auteur dans le roman). Partout, l'histoire est présentée comme une victoire de l'amour contre le temps, et l'amour dont on parle est toujours celui de Florentino Ariza. Ce n'est pas du tout comme ça que je l'ai ressenti !
Pour moi, il y a une double histoire d'amour : l'amour de Juvénal Urbino et celui de Florentino Ariza (tous les deux pour la même femme, Fermina Daza). Et chacune de ces histoire raconte un aspect de l'amour : l'amour conjugal et l'amour passionné.
Bizarrement, c'est l'amour conjugal qui m'a le plus touchée. C'est un amour difficile entre deux êtres qui ne se connaissaient que très peu au moment de lier leurs destins et qui doivent ensuite se supporter pendant le reste de leur vie. Ils entrent dans cette union sans être vraiment certains qu'il s'agit vraiment d'amour, et c'est une question qui poursuivra Fermina Daza jusqu'au bout : "C'est ça, l'amour ? Ce n'est que ça ?". Mais en même temps, ils construisent une complicité, une connaissance et un besoin l'un de l'autre qui deviendra toute leur vie. Ils se battent au fil des années pour cette relation, pas parce que c'est ce qu'exige la société (à un certain moment ils se sépareront et ça ne semble poser aucun problème), mais parce qu'ils se rendent compte qu'ils ont du respect l'un pour l'autre et besoin l'un de l'autre. Et moi aussi j'ai du respect pour ces deux personnages, patients chacun à leur façon. Ce sont leurs rencontres, leurs affrontements et leurs moments de complicité qui m'ont de temps en temps arraché quelques larmes d'émotion.
Elle avait supplié Dieu de lui concéder au moins un instant afin qu'il ne s'en allât pas sans savoir combien elle l'avait aimé par-delà leurs doutes à tous les deux, et senti un désir irrésistible de recommencer sa vie avec lui depuis le début afin qu'ils pussent se dire tout ce qu'ils ne s'étaient pas dit et bien refaire tout ce qu'autrefois ils avaient peut-être mal fait.
De l'autre côté du ring il y a Florentino Ariza et son amour irrépressible, passionné, extrêmement romantique. C'est un amour qui n'a rien de raisonné : un coup de foudre, une maladie. C'est d'ailleurs (à mon avis) à cause de lui que le choléra fait partie du titre ; c'est une maladie qui est mentionnée régulièrement au fil des pages, comme une toile de fond, mais la véritable maladie c'est celle qui emporte Florentino Ariza. Et elle tue aussi bien que le choléra, car elle emporte sur son passage les femmes que Florentino côtoie.
Transito Ariza avait l'habitude de dire : "La seule maladie qu'a eue mon fils, c'est le choléra". Elle confondait, bien sûr, amour et choléra, et ce bien avant que s'embrouillât sa mémoire.
Moi, contrairement à beaucoup de lecteurs apparemment, je n'arrive pas à considérer Florentino Ariza comme un champion de l'amour. Je l'ai trouvé pathétique, égoïste, vicieux et par moments carrément dégueulasse. Sa seule qualité c'est d'avoir su faire comprendre à Fermina Daza que la vieillesse n'interdisait pas les sentiments et l'amour physique. Mais au fil du livre il m'a trop souvent fait pitié par son incapacité à "tourner la page" et à saisir les occasions de bonheur qui se trouvent à sa portée. Et sur la fin il m'a carrément donné envie de vomir, lorsqu'à plus de soixante ans il a une relation avec sa pupille de quatorze ans :
Pour lire ce qu'elle avait écrit, Florentino Ariza s'inclina par-dessus son épaule. Sa chaleur d'homme, son souffle entrecoupé, l'odeur de ses vêtements qui était la même que celle de son oreiller la troublèrent. Elle n'était plus la petite fille à peine débarquée dont il ôtait les vêtements un par un avec des cajoleries de bébé : d'abord les chaussures pour le nounours, puis la chemise pour le lapinou, et un baiser pour la jolie petite chatte à son papa. Non : c'était une femme au vrai sens du terme, qui aimait prendre des initiatives.
Je ne vous ai toujours pas dit si j'ai aimé ce roman on pas. Eh bien je l'ai tout simplement adoré. Il a un sujet particulier et très difficile à traiter : la vieillesse, avec tous ses problèmes physiques et la peur de la déchéance. Il me semble difficile de parler de ça sans devenir pathétique ou caricatural, mais avec la plume qu'il a, Gabriel Garcia Marquez peut tout se permettre. Grâce à une multitude de détails et une façon très personnelle de raconter son histoire, il m'a plongée toute entière dans son univers à chaque fois que je reprenais le livre en main. Il n'y avait pour moi plus rien d'étranger dans la vie de cette ville si éloignée de ma réalité et dans la tête de ces personnages si différents des hommes et des femmes que je connais. Toute l'histoire est extrêmement lumineuse et réaliste, à la fois crue et poétique, froide et terriblement touchante. C'est une histoire d'amour mais on parle aussi sans fards de la vie intime des personnages, comme les coliques et constipations de Florentino Ariza. Le temps de cette lecture, l'auteur m'a transportée dans les Caraïbes du siècle dernier (ou de celui d'avant ?) comme si j'y avais vécu toute ma vie. Il m'a fait vivre la passion de la jeunesse et la gêne de la vieillesse. J'en suis ressortie bouleversée.
Et pour terminer, deux passages que j'ai soulignés tant j'ai trouvé la plume magnifique :
Elle lui semblait si belle, si séduisante, si différente des gens du commun qu'il ne comprenait pas pourquoi personne n'était comme lui bouleversé par le chant de castagnette de ses talons sur les pavés de la rue, ni pourquoi les coeurs ne battaient pas la chamade aux soupirs de ses volants, ni pourquoi personne ne devenait fou d'amour sous la caresse de ses cheveux, l'envol de ses mains, l'or de son rire. Il ne perdait aucun de ses gestes, aucune expression de sa personnalité, mais il n'osait l'approcher par crainte de briser l'enchantement.
C'était une grande mulâtresse, élégante, aux os longs, dont la peau avait la couleur et la douce consistance de la mélasse, portant ce matin-là un tailleur rouge à pois blancs et un chapeau assorti dont les larges bords ombraient jusqu'à ses paupières. Elle semblait d'un sexe plus défini que le reste des humains.
- la fiche Bibliomania du livre
Je ne sais pas si je vais découvrir Gabriel Garcia Marquez avec ce livre mais en tout cas, je me le note dans ma wish list. Finalement, on parle assez peu de l'amour conjugual, c'est surtout l'amour passionné du début qui trouve grâce dans la littérature. Ce n'est pas vraiment le même sujet mais ton avis me fait penser à Une maison de poupée d'Henrik Ibsen, l'as-tu déjà lu ?
RépondreSupprimerNon je ne connais pas du tout, je vais me renseigner !
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