18 juin 2014

Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh


J'ai toujours un mal fou à chroniquer les BDs, alors ça tombait bien que le challenge "Un genre par mois" d'Iluze me force à vous parler de cette superbe bande-dessinée reçue en cadeau il y a déjà trop longtemps !


Résumé :

Clémentine n'arrive pas à être une adolescente comme les autres ; elle n'a pas les mêmes envies et des rêves qui l'effraient. Quand elle rencontre Emma, elle se sent enfin heureuse auprès de quelqu'un qui lui ressemble. Mais pourra-t-elle faire face à ses désirs, assumer une identité que beaucoup trouvent humiliante ?


Mon avis :

Je n'aime pas chroniquer les bandes dessinées car j'ai vraiment l'impression de ne pas être à la hauteur. Un roman, c'est un peu une histoire en deux dimensions : l'histoire, et les mots employés pour la raconter. La bande dessinée, par contre, est multi-dimensionnelle : il y a aussi l'histoire et les mots, mais en plus le dessin et toutes les autres façons de faire passer les sentiments sur une page. Quand je lis un roman, je m'installe tranquillement dans le monde créé par l'auteur, j'ai le temps de m'y faire car lui a pris le temps de le développer, et je me l'approprie car je crée les images. Quand il s'agit d'une bande dessinée, l'auteur a beaucoup moins d'espace pour faire passer son message et en même temps beaucoup plus d'outils pour le rendre percutant, alors j'ai souvent l'impression qu'il me prend par la gorge, me retourne dans tous les sens, et le pire c'est que je ne sais pas réellement comment il fait.

Dans ce cas-ci, dès les premières pages j'ai eu les larmes aux yeux. Il y a bien sûr le scénario tristounet, entamé par une lettre posthume. Mais si j'avais lu cette histoire en mots uniquement, j'aurais été un peu mélancolique, pas aussi émotive. Alors qu'est-ce que c'était ? Les yeux tristes et les lèvres gercées d'Emma ?  Je ne sais pas pourquoi mais j'ai trouvé ces lèvres abîmées d'adolescente particulièrement émouvantes. Ou alors c'est l'univers familier dans lequel elle évolue, ces détails, ce bus, cette maison de banlieue, cette chambre à moitié vide de jeune femme qui a grandi et où Emma vient faire face aux souvenirs de celle qu'elle a aimé ? Toutes ces images, je n'ai pas eu à les imaginer mais elles m'ont directement plongée dans un univers que je connais. L'émotion vient probablement aussi de l'écriture cursive des textes sortis de la lettre d'adieu et des journaux intimes de Clémentine, ces mots délicatement formés comme je le faisais quand j'écrivais encore à la main...

Mais je pense que la plus grande partie de l'émotion vient des couleurs : ce noir et blanc et gris ponctués de vert et de jaune quand l'histoire se déroule dans le présent, de bleu quand le bonheur surgit... Le dessin est rendu plus intime par cette utilisation très étudiée des couleurs, la plupart du temps très légères, sauf quand il s'agit du bleu. Et tout au long du livre je me suis surprise à attendre avec impatience le bleu des cheveux et des yeux d'Emma, comme le faisait Clémentine.

Cette longue BD (156 pages quand même) est très belle esthétiquement et elle raconte aussi une très belle histoire. Pas parce qu'il s'agit d'un amour homosexuel ; mais parce qu'il s'agit d'un amour si beau, si pur, et pourtant si contrarié. Clémentine grandit brutalement et malgré son jeune âge elle réagit avec beaucoup de maturité face aux préjugés qui ont bercé sa vie jusque là ; Emma quand à elle a un petit air de prédatrice avec son expérience et sa façon de prendre l'initiative, mais on la découvre elle aussi fragile, inquiète et incapable de vraiment s'engager. Ce sont deux jeunes femmes que j'aimerais rencontrer, un sentiment que je n'ai pas souvent quand je lis un roman. Peut-être que le réalisme de cette histoire m'a particulièrement atteinte.

Alors je vous entends d'ici me poser la question évidente : "Tu as vu le film ?" La réponse est non, et je ne pense pas vraiment avoir envie de le voir; un jour, peut-être, par curiosité. Mais là, maintenant, en terminant ma lecture (que je vais recommencer de ce pas pour savourer un peu mieux tous les détails du dessin), je ne vois pas en quoi la même histoire racontée sous une autre forme pourrait m'émouvoir ou m'apporter plus que cette bande-dessinée.

Pour en savoir plus : 
- la fiche Bibliomania du livre, qui m'a appris que je n'étais pas la seule à avoir versé ma petite larme sur ces images...
- la fiche du film "La vie d'Adèle" sur Allociné


Voici ma BD pour le challenge "Un genre par mois"...

...et mon premier but marqué à la Coupe du Monde des Livres !

5 commentaires:

  1. Moi Nathalie, je n'ai pas lu la BD, mais j'ai vu le film. Après en avoir lu ma chronique assassine, une amie m'a dis que la BD était très différente. Du coup, après avoir lu ta chronique, je me dis que je devrais peut-être bien la lire finalement, qu'elle me laisserais moins déçue que le film.

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  2. C'est amusant de te voir commencer ta chronique te déclarant trop peu à l'aise pour parler de BD, puis de le réussir brillamment. J'espère que tu as trouvé plaisir dans l'expérience et qu'on te verra en discuter de temps en temps à nouveau ;)
    Cette BD m'avait énormément touchée aussi, et je ne me lasse pas d'admirer le trait de Julie Maroh et sa manière très pudique de raconter cette histoire.
    Pour ma part, je te déconseille vivement le film. Là où la BD banalise l'homosexualité, Kechiche la mystifie en plaçant l'orgasme féminin et donc un couple de femmes sur un piédestal. Sa manière de filmer est impudique au possible, surtout dans les scènes érotiques qui sont d'un ridicule insultant.

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  3. @ Gaby, je vais aller lire ta chronique assassine et puis je te dirai si les défauts du film se trouvent aussi dans le livre. Mais tu ne me donnes pas envie de le voir :s

    @ Sita : c'est un beau compliment que tu me fais ! Mais j'ai quand même l'impression de ne pas avoir parlé du dessin ni d'avoir vraiment percé ce qui m'avait tant touchée dans cet album. Sinon toi non plus tu ne me donnes pas envie de voir le film, le désir de Clémentine est très présent dans le livre mais justement j'ai aimé que ça reste pudique et universel...

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  4. Et ben ... tu en parles très bien, tu me donnes envie de découvrir cette BD alors qu'elle ne m'attirait pas plus que ça. Et le film non plus, et vu l'avis de Sita me fait penser que ça me plairait pas trop non plus.

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  5. Le film ne me tente pas plus que ça non plus je dois dire. Mais il est sur netflix donc je peux le voir quand je veux, peut-être qu'un jour où j'aurai du repassage à faire devant la télé... Juste pour comparer.

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